Une crise d’une ampleur sans précédent secoue actuellement l’Arménie, opposant frontalement le Premier ministre Nikol Pashinyan au Catholicos Karékine II, chef de l’Église apostolique arménienne, institution majeure du pays. Cette confrontation publique, qui franchit un cap inédit, s’inscrit dans un contexte de tensions qui couvaient depuis plusieurs années, exacerbées par les conséquences de la défaite arménienne lors du conflit du Haut-Karabakh en 2020.
Depuis cette défaite militaire face à l’Azerbaïdjan, les relations entre le pouvoir politique et l’Église apostolique sont devenues de plus en plus conflictuelles. Le Catholicos Karékine II, figure respectée et influente, avait alors pris position en critiquant ouvertement la gestion gouvernementale, allant jusqu’à appeler à la démission de Nikol Pashinyan. Cette prise de position a marqué le début d’une rupture profonde entre les deux institutions, jusque-là liées par une histoire commune et un rôle central dans l’identité nationale arménienne.
Dans un geste sans précédent, Pashinyan a appelé mardi 10 juin les fidèles à renverser Karékine II, estimant que l’Église devait être « libérée » de son chef actuel. Il a en outre suggéré que le gouvernement pourrait et devrait avoir un rôle majeur dans la désignation des futurs dirigeants religieux, contestant ainsi le monopole traditionnel de l’Église sur ses propres nominations. Cette revendication soulève une question essentielle sur la séparation entre l’Église et l’État en Arménie, pays où la religion joue un rôle central dans la société et la culture.
Au cœur de cette bataille, des accusations graves ont été portées contre Karékine II. Nikol Pashinyan a évoqué des allégations selon lesquelles le Catholicos aurait violé le vœu de célibat monastique, laissant entendre qu’il pourrait avoir un enfant, ce qui, dans la doctrine de l’Église apostolique arménienne, remettrait en cause sa légitimité à diriger la communauté. Le Premier ministre a demandé au Saint-Siège d’Etchmiadzine, l’autorité suprême de l’Église, de se positionner clairement sur cette affaire.
Parallèlement, l’épouse de Pashinyan, Anna Akopian, a dénoncé l’Église comme un « repaire de pédophiles », faisant écho à des accusations très graves qui n’ont pas encore été officiellement confirmées mais qui ont contribué à alimenter la controverse et à diviser l’opinion publique. Ces accusations ont suscité une vive émotion dans la société arménienne, déjà fragilisée par les cicatrices du conflit armé.
Face à ces attaques, plusieurs personnalités publiques et politiques, dont l’ancien président Levon Ter-Petrosian, ont exprimé leur soutien au Catholicos Karékine II, insistant sur l’importance de préserver l’autonomie de l’Église et de ne pas mêler la religion à la politique. D’autres voix appellent à une réflexion plus large sur le rôle de l’Église dans la société arménienne et son influence parfois contestée dans les affaires publiques.