Assez de silence complice ! Des ONG méditerranéennes, portées par le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie, la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives, le Centre libanais des droits de l’Homme et EuroMed Droits, ont lancé un cri d’alarme à l’Union européenne. Dans une lettre adressée mercredi à Kaja Kallas, cheffe de la diplomatie européenne, , ces organisations exigent des sanctions immédiates, sévères et ciblées contre le président tunisien Kais Saied et son cercle rapproche. Et pour cause : la Tunisie, berceau du Printemps arabe, sombre dans une répression brutale des droits humains sous le joug d’un régime autoritaire.
Depuis son coup de force du 25 juillet 2021 — qualifié de putsch institutionnel par ses opposants — Kais Saied a méthodiquement saccagé les derniers vestiges démocratiques de la Tunisie. En s’emparant des pleins pouvoirs, il a transformé le pays en une dictature brutale où toute forme de contestation est traquée, étouffée et criminalisée. Arrestations arbitraires à la chaîne, justice transformée en bras armé du régime, médias bâillonnés, défenseurs des droits humains traqués comme des criminels : la répression est massive, systémique, implacable.
La Tunisie, jadis flambeau du Printemps arabe, est désormais un cauchemar autoritaire, un État policier où la peur, la surveillance et la terreur sont devenues des outils de gouvernance. C’est une démocratie assassinée en plein jour, sous les yeux d’une communauté internationale largement silencieuse.
Les chiffres donnent froid dans le dos. Selon la Ligue tunisienne des droits de l’Homme, près de 400 personnes sont poursuivies en vertu d’un décret-loi liberticide, devenu l’instrument préféré du régime pour écraser toute dissidence. Officiellement conçu pour lutter contre les « fausses informations », ce texte est en réalité une arme de guerre juridique utilisée pour silencer, humilier et détruire journalistes, blogueurs, avocats, activistes et citoyens ordinaires.
Des figures emblématiques de l’opposition, comme Rached Ghannouchi, chef historique d’Ennahdha, condamné à 22 ans de prison pour un soi-disant complot contre la sûreté de l’État, ou Abir Moussi, héritière controversée du bourguibisme, sont emprisonnées dans des conditions indignes, sur la base de accusations floues, montées de toutes pièces, kafkaïennes dans leur absurdité.
Mais le zèle répressif du régime ne s’arrête pas là. Même les humanitaires, ces femmes et hommes engagés aux côtés des migrants les plus vulnérables, sont désormais dans le viseur. Une dizaine d’entre eux croupissent derrière les barreaux depuis plus d’un an, détenus dans un dénigrement total des droits humains, pour le simple fait d’avoir tendu la main là où l’État tourne le dos.
Face à cette descente aux enfers, l’Union européenne, chantre autoproclamée des droits humains, brille par son inaction. En mars 2024, le Parlement européen avait pourtant adopté une résolution sans équivoque, condamnant la répression en Tunisie et appelant à suspendre la coopération avec les ministères de la Justice et de l’Intérieur. Mais ces mots forts sont restés lettre morte. Pire, Bruxelles continue de fermer les yeux, notamment pour préserver son juteux partenariat migratoire avec Tunis, au détriment des valeurs qu’elle prétend défendre. Human Rights Watch n’a pas mâ ——ché ses mots, accusant l’UE d’ »abandonner les droits humains » dans la région pour des raisons pragmatiques.
Les ONG ne se contentent plus de simples alertes, elles exigent désormais des mesures concrètes et immédiates. En effet, dans une lettre adressée à Kaja Kallas, cheffe de la diplomatie européenne, elles réclament l’adoption sans délai d’un ensemble de sanctions ciblées visant Kais Saied, ses ministres ainsi que les hauts responsables de l’armée, de la police, de l’administration pénitentiaire, sans oublier les juges et parlementaires complices de cette dérive autoritaire.
Parmi les mesures proposées figurent d’abord l’interdiction de voyager dans l’espace européen pour tous les responsables impliqués dans la répression, suivie du gel des avoirs bancaires détenus en Europe par ces mêmes personnes et leurs proches. Par ailleurs, elles demandent la mise en place de sanctions économiques ciblées afin d’asphyxier les circuits de pouvoir, tout en évitant de pénaliser la population civile.
En outre, les ONG appellent à la suspension immédiate des fonds européens alloués à la Tunisie dans le cadre de la gestion migratoire, soulignant que cette aide est devenue un levier d’impunité pour le régime. Enfin, elles réclament un embargo total sur la vente de matériel de sécurité et interdisent tout soutien financier ou technique au gouvernement tunisien. Ainsi, les signataires mettent en garde : tolérer cette situation reviendrait à trahir les principes fondamentaux de l’Union européenne, qui doit impérativement rompre avec sa politique de complaisance et faire de la Tunisie un test crucial de sa crédibilité en matière de défense des droits humains.
Les avocats William Bourdon et Vincent Brengarth, qui portent cette initiative, sont catégoriques : « Une nouvelle ligne a été franchie. » L’Europe ne peut plus se cacher derrière des déclarations tièdes ou des promesses creuses de « suivre la situation ». Chaque jour d’inaction est un jour de trop pour les centaines de prisonniers politiques, les familles brisées et les voix réduites au silence.