Miragoâne (Nippes), 3 décembre 2025 – Le Bureau intégré des Nations unies en Haïti (BINUH) a transmis au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire un rapport explosif accusant formellement le commissaire du gouvernement Jean Ernest Muscadin d’avoir participé directement à l’exécution d’au moins 28 personnes présentées comme des membres ou sympathisants de gangs entre janvier 2023 et novembre 2025.
Selon les éléments recueillis par les enquêteurs onusiens et transmis sous forme confidentielle aux autorités haïtiennes (dont Le Monde a pu consulter des extraits), plusieurs de ces exécutions auraient eu lieu après que les victimes, arrêtées par la police ou livrées par la population, eurent été conduites au parquet de Miragoâne ou dans des lieux tenus secrets par les forces proches du magistrat.
Des témoins protégés affirment avoir vu Jean Ernest Muscadin lui-même tirer à bout portant sur certains détenus, mains liées, sur des plages désertes de la côte des Nippes ou dans des ravins isolés. D’autres corps ont été retrouvés brûlés ou jetés à la mer, rendant parfois l’identification impossible.
« Les faits relevés sont d’une gravité extrême et constitueraient des crimes contre l’humanité s’ils étaient confirmés », écrit le BINUH, qui demande la suspension immédiate du magistrat et son placement en résidence surveillée en attendant une enquête indépendante.
L’accusation, loin de faire vaciller Jean Ernest Muscadin, semble au contraire galvaniser ses partisans. Dès la fuite du rapport, des centaines d’habitants ont défilé mercredi soir à Miragoâne et à Petit-Goâve en brandissant son portrait et en criant « Muscadin ou la mort ! ».
« L’ONU protège les bandits depuis des années. Lui, il nous protège nous », lance Marie-Rose, vendeuse au marché de l’Anse-à-Veau. Comme beaucoup ici, elle dit avoir vu des proches tués ou rançonnés par des gangs venus des Palmes ou de la Grand’Anse et se fiche des « droits de l’homme » quand il s’agit de survie.
Sur Facebook, le magistrat a réagi dans la nuit avec une vidéo de sept minutes, filmée en treillis et gilet pare-balles :
« Ils veulent ma tête parce que j’ai fait ce que personne n’osait faire. Je n’ai pas à m’excuser d’avoir sauvé le Grand Sud. Si protéger mon peuple fait de moi un criminel aux yeux de l’ONU, alors je l’assume. »
La mission multinationale dirigée par le Kenya (MSS), déjà critiquée pour sa lenteur, se retrouve dans une position délicate : plusieurs sources indiquent que des éléments kenyans ont parfois collaboré avec les « brigades de vigilance » créées par Muscadin. Des photos montrent même des officiers kenyans posant aux côtés du magistrat lors d’opérations conjointes.
À Port-au-Prince, le Premier ministre Alix Didier Fils-Aimé a promis une enquête « rapide et impartiale », mais beaucoup doutent de la capacité – et de la volonté – du pouvoir central d’affronter un homme qui reste, pour l’instant, le seul rempart visible contre l’avancée des gangs vers le sud du pays.
Entre l’État de droit que prône l’ONU et la loi de la rue que réclame une population épuisée, Haïti vit une fracture plus profonde que jamais. Et pour beaucoup dans les Nippes, le choix est déjà fait : plutôt un procureur qui tue que des bandits qui vivent.

























