Le 9 septembre 2025, Emmanuel Macron a tranché dans un climat de turbulences politiques : Sébastien Lecornu, jusqu’alors ministre des Armées, a été nommé Premier ministre, comme l’a confirmé l’Élysée dans un communiqué solennel. Cette désignation intervient après la démission de François Bayrou, renversé par un vote de défiance à l’Assemblée nationale à la suite de l’échec cuisant du projet de budget 2026. Avec ce nouveau changement, Macron enregistre un triste record : Lecornu devient le septième chef du gouvernement depuis le début de son mandat et le cinquième depuis 2022, une instabilité jamais vue sous la Ve République.
À 39 ans, Sébastien Lecornu incarne un profil singulier. Macroniste de la première heure, il a su s’imposer comme l’un des piliers inamovibles des différents gouvernements depuis 2017. Fidèle au président, habile manœuvrier et doté d’un solide réseau politique, il est décrit comme pragmatique et rompu aux négociations complexes. Mais son entrée à Matignon se fait dans un contexte d’extrême fragilité institutionnelle : un Parlement éclaté, des forces politiques irréconciliables et une opinion publique massivement désabusée.
La chute de Bayrou, précipitée par le rejet du projet de loi de finances qui devait réduire la dette publique de 44 milliards d’euros, a agi comme un catalyseur d’instabilité. Le Rassemblement national, fort de sa présence massive à l’Assemblée, réclame la dissolution et de nouvelles élections, estimant qu’aucune majorité crédible ne peut émerger. La gauche radicale, quant à elle, enfonce le clou en exigeant purement et simplement la démission d’Emmanuel Macron. Les socialistes, bien que critiques à l’égard du président, espéraient une ouverture avec un Premier ministre issu d’une autre sensibilité politique. La nomination de Lecornu les a profondément déçus et ils refusent désormais de participer à la composition du gouvernement. De leur côté, Les Républicains rejettent catégoriquement toute alliance avec la gauche, condamnant ainsi d’avance toute tentative de coalition élargie.
Dans ce climat d’impasse, le nouveau Premier ministre est attendu au tournant. Homme de dialogue réputé, il devra rapidement entamer une série de consultations avec l’ensemble des forces politiques représentées au Parlement. Son objectif est clair : obtenir une majorité de compromis autour du budget et éviter une nouvelle motion de censure, qui pourrait emporter son gouvernement dès ses premières semaines d’existence. Sa proximité avec Emmanuel Macron et son expérience à la tête de portefeuilles sensibles – notamment celui des Armées dans un contexte international marqué par la poursuite de la guerre en Ukraine et la tension grandissante au Moyen-Orient – en font un choix stratégique mais hautement risqué.
Au-delà de la bataille parlementaire, Lecornu hérite d’une France en ébullition sociale. Depuis plusieurs jours, les syndicats multiplient les appels à la mobilisation. Une grève générale est prévue le 18 septembre, tandis que des manifestations sous le mot d’ordre « Paralysons tout » débuteront dès le 10 septembre, quelques heures seulement après la passation de pouvoir prévue à midi. Pour y faire face, le ministère de l’Intérieur a d’ores et déjà annoncé le déploiement de 80 000 agents de sécurité afin de contenir d’éventuels débordements. Les aéroports et les transports publics risquent d’être sévèrement perturbés, accentuant un climat de crispation sociale.
Dans ce contexte, l’exécutif se retrouve affaibli comme jamais. Emmanuel Macron, dont la popularité atteint son plus bas niveau depuis son arrivée à l’Élysée en 2017, avec un taux d’insatisfaction record de 77 %, doit absolument redonner un cap politique. La nomination de Lecornu, présentée comme un pari de confiance, est aussi une tentative de réinstaller une forme de continuité et de stabilité. Mais rien ne dit que cette stratégie suffira à apaiser une société traversée par la colère et la défiance.
Enfin, cette crise intérieure se double d’enjeux diplomatiques majeurs. Alors que Macron s’apprête à prendre la parole à l’ONU pour annoncer la reconnaissance officielle de l’État de Palestine – une décision qui promet de faire grand bruit sur la scène internationale – c’est à son nouveau Premier ministre qu’il reviendra d’assurer la solidité du front intérieur. La capacité de Lecornu à bâtir une coalition viable, à redonner confiance aux parlementaires comme à la rue, sera déterminante pour la survie politique du macronisme dans les trois dernières années du quinquennat.
L’histoire retiendra peut-être que Sébastien Lecornu est arrivé à Matignon dans l’un des moments les plus périlleux de la Ve République. Sa mission, titanesque, sera de faire tenir un exécutif vacillant, de ramener un semblant d’équilibre dans un paysage politique fracturé et d’empêcher que la France ne sombre dans une crise institutionnelle prolongée. Un défi à la mesure de son ambition, mais aussi un test grandeur nature de sa capacité à devenir, un jour, l’un des héritiers politiques d’Emmanuel Macron.