Karachi, Islamabad, Rawalpindi – Au Pakistan, la campagne de vaccination contre le papillomavirus humain (HPV), destinée à prévenir le cancer du col de l’utérus chez les jeunes filles, se heurte à une défiance profonde et à une désinformation persistante. Sur les 11 millions de doses prévues pour les filles de 9 à 14 ans, seulement six millions ont été administrées, laissant des millions d’adolescentes exposées à un risque évitable.
Dans ce pays conservateur, les obstacles sont multiples et parfois radicaux. À Karachi, Maryam Bibi, 30 ans, refuse de faire vacciner ses trois filles : « Mon mari dit que le vaccin rend stérile et sert à contrôler la population », raconte-t-elle. À Lahore, Humna Saleem, mère de deux adolescentes, questionne l’efficacité de la campagne : « Pourquoi vacciner nos filles au lieu d’éduquer les garçons à la fidélité ? » Dans un contexte où les relations hors mariage sont taboues, beaucoup associent le virus à des comportements jugés immoraux, ignorant qu’il peut toucher n’importe qui.
Les équipes médicales font face à un rejet parfois brutal. « Certaines familles nous claquent la porte au nez ou mentent sur l’âge de leurs filles », confie Ambreen Zehra, vaccinateur à Karachi. Dans de nombreuses écoles de Rawalpindi, aucune dose n’a pu être administrée faute de consentement parental. La défiance trouve ses racines dans un passé douloureux : la fausse campagne de vaccination orchestrée par la CIA en 2011 pour traquer Oussama ben Laden a durablement ébranlé la confiance. Les soignants restent exposés à des attaques, et la polio, presque éradiquée, resurgit avec 27 cas recensés en 2025.
Le vaccin contre le HPV est pourtant sûr et efficace, administré depuis des années dans plus de 150 pays, et permet de prévenir scientifiquement le cancer du col de l’utérus. Mais certains leaders politiques continuent d’entretenir les mythes. Rashid Mehmood Soomro, dirigeant d’un parti religieux à Karachi, affirme que le vaccin est imposé et rend stérile, relançant la peur et le rejet.
Pour contrer ces rumeurs, le ministre pakistanais de la Santé, Syed Mustafa Kamal, a fait vacciner publiquement sa fille : « Ma fille, comme toutes les filles du Pakistan, mérite d’être protégée. » Son geste symbolique illustre l’urgence d’une mobilisation collective pour restaurer la confiance et protéger la santé des jeunes filles.
Au Pakistan, le combat contre le cancer du col de l’utérus est désormais autant une bataille scientifique que médiatique, seule une lutte acharnée contre la désinformation pourra permettre aux campagnes de vaccination de sauver des vies.