Investi mardi au Château de Prague par le président Petr Pavel, l’homme d’affaires milliardaire Andrej Babiš reprend les rênes de la République tchèque à la tête d’une coalition inédite incluant deux partis ouvertement d’extrême droite. C’est dans la salle Vladislav du Château, sous les voûtes gothiques chargées d’histoire, que Babiš, 71 ans, a prêté serment devant le président de la République, le général à la retraite Petr Pavel. L’image est frappante : celui qui avait infligé à Babiš une cuisante défaite à l’élection présidentielle de janvier 2023 se voit aujourd’hui contraint de nommer l’homme qu’il avait qualifié publiquement de « risque pour la démocratie ».
Le milliardaire dirigeant du parti populiste ANO revient au pouvoir après quatre ans dans l’opposition, période durant laquelle il a progressivement orienté son mouvement du centre libéral vers des positions plus proches des forces d’extrême droite européennes, rejoignant notamment les Patriotes pour l’Europe. Son retour marque un tournant historique pour la République tchèque, puisque c’est la première fois depuis la Révolution de Velours de 1989 qu’un gouvernement inclut des partis d’extrême droite, modifiant profondément l’équilibre politique du pays.
Pour obtenir la majorité absolue, ANO s’est allié au parti libertarien et anti-système SPD de Tomio Okamura (19,8 % des voix, 42 sièges) et à la formation ultranationaliste Přísaha (« Serment ») de Robert Šlachta (8,4 %, 18 sièges), ancien patron de l’unité anti-crime organisé reconverti en politique. Tomio Okamura, connu pour ses positions radicales sur l’immigration et son euroscepticisme, obtient le ministère de l’Intérieur, tandis que Robert Šlachta prend la Justice et la lutte anticorruption – ironie du sort pour un exécutif dirigé par Babiš, toujours poursuivi dans l’affaire du « Nid de cigogne ».
Babiš succède ainsi à une administration de centre-droit fortement pro-ukrainienne et formera son cabinet complet le 15 décembre. Lors de sa première déclaration après la cérémonie, le nouveau Premier ministre a promis de faire de la République tchèque « le meilleur endroit pour vivre sur la planète ». Concrètement, la coalition s’engage à refuser tout quota d’accueil de migrants, durcir la législation sur l’asile, baisser massivement les impôts et supprimer l’impôt sur les successions, geler les salaires du secteur public, réduire les aides sociales, sortir du Pacte vert européen et relancer les centrales à charbon, ainsi qu’à organiser un référendum sur la sortie de l’OTAN d’ici 2028, promesse phare du SPD.
À Prague, plusieurs milliers de personnes ont manifesté mardi soir sur la place Venceslas contre « le retour du populisme et de l’extrême droite ». À Bruxelles et dans plusieurs capitales européennes, l’inquiétude est palpable : la Tchéquie, jusqu’ici considérée comme un îlot de stabilité en Europe centrale, bascule aux côtés des gouvernements illibéraux de la Hongrie et, dans une moindre mesure, de la Slovaquie.
Reste à savoir si Andrej Babiš, pragmatique et habitué aux compromis, saura tenir en laisse ses alliés radicaux – ou s’il se laissera déborder par une droite dure déterminée à transformer profondément le pays. Le nouveau gouvernement doit encore obtenir la confiance de la Chambre des députés d’ici la fin du mois ; avec 168 voix sur 200, cette formalité semble acquise.

























