L’arrestation de Riyad Salamé, ancien gouverneur de la Banque centrale du Liban, marque une chute spectaculaire pour celui qui fut longtemps considéré comme le gardien de la stabilité monétaire du pays. Pendant trois décennies, Salamé a joué un rôle clé dans le système financier libanais, étant à la fois célébré pour avoir maintenu l’économie à flot après la guerre civile et critiqué pour sa gestion controversée des dernières années. Cependant, les accusations de corruption, de blanchiment d’argent et de détournement de fonds qui ont émergé au cours de la dernière décennie ont terni cette image, culminant dans une arrestation qui semblait inévitable.
La carrière de Salamé est un reflet des contradictions du Liban : un pays qui, malgré ses difficultés économiques et politiques, a réussi à attirer des capitaux étrangers, notamment grâce à des taux d’intérêt élevés et une politique de change fixe. Mais cette stratégie, qui a longtemps fonctionné, a fini par devenir insoutenable face aux changements géopolitiques régionaux, notamment la guerre en Syrie. Salameh, plutôt que de réformer, a choisi de continuer sur cette voie, engageant des montages financiers risqués comparés à une « pyramide de Ponzi ».
Le tournant s’est produit à partir de 2016, lorsque la crise économique a commencé à s’intensifier. Le gouverneur a été accusé d’avoir aidé des responsables politiques à transférer leurs capitaux à l’étranger juste avant l’effondrement du système bancaire en 2019, un geste qui a amplifié la crise de confiance des Libanais envers leurs institutions financières. La dévaluation massive de la livre libanaise, qui a perdu plus de 98 % de sa valeur, et l’incapacité des épargnants à accéder à leurs fonds ont jeté une lumière crue sur les failles du système.
Les mandats d’arrêt internationaux émis par la France et l’Allemagne pour corruption confèrent à cette affaire une dimension transnationale. La saisie des biens de Salameh en Europe, d’une valeur de plusieurs dizaines de millions d’euros, montre l’ampleur des réseaux financiers dans lesquels il était impliqué. Cette affaire met également en évidence les défis auxquels sont confrontés les États libanais et étrangers pour lutter contre la corruption à un niveau aussi élevé. Le refus du Liban d’extrader Salameh souligne les tensions entre souveraineté nationale et obligations internationales, un dilemme qui complique encore la résolution de ce cas.
Salamé se défend en affirmant qu’il est un « bouc émissaire » facile, sacrifié par une classe politique dont il a longtemps été proche. Cependant, les preuves accumulées et les enquêtes en cours montrent un tableau beaucoup plus complexe. Salameh, en protégeant les intérêts des élites politiques et économiques, aurait non seulement contribué à la crise actuelle mais en aurait aussi profité.
L’arrestation de Salamé pourrait bien être le catalyseur nécessaire pour une refonte du système financier libanais, même si les obstacles restent nombreux. La question de savoir si cette arrestation conduira à une véritable justice ou si elle ne sera qu’un autre épisode dans la longue saga de la corruption libanaise reste ouverte. Ce qui est certain, c’est que le cas Salamé jette une lumière impitoyable sur les pratiques douteuses qui ont conduit le Liban au bord de la faillite.
La chute de Riyad Salamé illustre, au-delà de la défaillance d’un individu, l’effondrement d’un système qui a trahi les intérêts de son peuple. Les prochaines étapes, tant judiciaires que politiques, seront décisives pour déterminer si le Liban peut enfin tourner la page de décennies de mauvaise gestion et de corruption.