Entre promesses présidentielles et impunité persistante, le fléau de la corruption met à nu la fragilité de l’État mauritanien.
À Nouakchott comme dans plusieurs capitales régionales, des foules compactes ont envahi les rues ce lundi, brandissant pancartes et drapeaux aux couleurs du Rassemblement national pour la réforme et le développement (Tawassoul), principal parti d’opposition mauritanien. Les manifestants dénoncent la corruption systémique et exigent des réformes concrètes pour mettre fin à ce qu’ils qualifient de « pillage organisé des ressources publiques ».
Cette mobilisation, d’une ampleur inédite depuis plusieurs années, intervient après la publication d’un rapport accablant de la Cour des comptes, révélant de graves irrégularités dans la gestion des fonds publics entre 2022 et 2023.
Selon ce document, plusieurs centaines de milliards d’ouguiyas auraient été détournés, impliquant des hauts fonctionnaires de divers ministères et institutions publiques.
« Le gouvernement ne peut prétendre combattre la corruption tout en maintenant aux postes de pouvoir ceux qui en sont les acteurs »,
a dénoncé Mohamed Ould Mohamed Embarek, vice-président de Tawassoul, lors d’un rassemblement devant le siège du gouvernement à Nouakchott.
Il a appelé à libérer les institutions de contrôle – Parlement, Cour des comptes, organes d’inspection – du joug politique afin qu’elles puissent « agir sans crainte ni ingérence ».
Les slogans scandaient une colère populaire grandissante : « Justice pour tous ! », « Non à l’impunité ! », « L’argent du peuple n’est pas à vendre ! »
Une exaspération nourrie par la multiplication des scandales financiers et l’absence de sanctions exemplaires contre les responsables impliqués.
Conscient de la gravité de la crise, le président Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani a récemment affirmé que « toute personne impliquée dans une affaire de corruption devra rendre des comptes ».
Il a promis de renforcer les inspections et de faire appliquer les recommandations des audits publics.
Mais, derrière ces déclarations de fermeté, la réalité reste inchangée : les sanctions se limitent souvent à de simples limogeages, sans poursuites judiciaires ni restitution des fonds détournés.
« En Mauritanie, on limoge, mais on ne juge pas », résume un observateur politique.
Ce cercle vicieux du silence et du recyclage nourrit une véritable culture de la prédation, où l’enrichissement personnel supplante l’intérêt général.
La faiblesse des organes de contrôle, la dépendance du pouvoir judiciaire et l’ingérence du politique forment les piliers d’un système verrouillé, où les enquêtes sont étouffées par des réseaux d’influence solidement enracinés.
Cette impunité structurelle profite à une élite politico-administrative qui a détourné les institutions à son profit. Pendant ce temps, la mauvaise gouvernance s’enracine, les inégalités se creusent, et les services publics — santé, éducation, infrastructures — s’effondrent sous les yeux d’une population de plus en plus désabusée.
Pour le président Ghazouani, cette crise de confiance constitue un test politique décisif.S’il échoue à briser le cercle vicieux de la corruption, son mandat restera celui des promesses trahies.
Les Mauritaniens n’attendent plus de discours, mais des actes judiciaires clairs, des procès publics, des condamnations, et surtout, la restitution effective des fonds détournés.
Sans ces mesures, toute initiative de réforme apparaîtra comme un simple exercice de communication, et la fracture entre gouvernants et gouvernés continuera de s’élargir.
La Mauritanie est aujourd’hui à la croisée des chemins, soit elle choisit la justice et la transparence, soit elle s’enferme dans la complaisance et la décadence institutionnelle. Pour l’heure, malheureusement, c’est encore la corruption qui gagne.



























