Addis-Abeba, 5 décembre 2025 – Le torchon brûle à nouveau entre l’Éthiopie et l’Égypte. Mercredi 3 décembre, le ministère éthiopien des Affaires étrangères a publié un communiqué particulièrement offensif, accusant Le Caire de « rejeter catégoriquement tout dialogue et toute négociation » sur le Grand barrage de la Renaissance éthiopienne (GERD), le méga-projet hydroélectrique de 145 mètres de haut qui domine depuis cinq ans le Nil Bleu, à une quarantaine de kilomètres de la frontière soudanaise.
« Les tentatives répétées d’intimidation de l’Égypte n’ont jamais effrayé l’Éthiopie par le passé et ne l’effraieront jamais à l’avenir », prévient le texte, qui évoque une « posture héritée de l’époque coloniale » et un « attachement pathologique à des prétendus droits historiques » issus des accords de 1929 (entre l’Égypte et le Royaume-Uni, alors puissance coloniale) et de 1959 (entre l’Égypte et le Soudan), auxquels l’Éthiopie n’a jamais été associée.
Addis-Abeba va plus loin : elle reproche au Caire de mener « une campagne systématique de déstabilisation » non seulement contre l’Éthiopie, mais aussi contre d’autres pays de la Corne de l’Afrique, sans toutefois nommer explicitement les États concernés. Des observateurs y voient une allusion aux tensions égypto-somaliennes autour du mémorandum d’entente signé début 2024 entre Addis-Abeba et le Somaliland, et aux pressions exercées par Le Caire sur plusieurs capitales de la région.
Le Nil Bleu, qui prend sa source dans le lac Tana (nord-ouest de l’Éthiopie), fournit environ 86 % des eaux qui alimentent le Nil à Khartoum, puis au Caire. Son bassin versant couvre près de 70 % des eaux de surface éthiopiennes. Pour Addis-Abeba, le GERD (5 150 MW installés, bientôt 6 450 MW) est le symbole de l’indépendance énergétique et du développement du pays : il doit permettre de doubler la production nationale d’électricité et d’exporter du courant vers le Kenya, Djibouti, le Soudan et, à terme, l’Égypte elle-même.
Pour Le Caire, qui dépend à 97 % du Nil pour son eau douce, le barrage représente une menace existentielle. L’Égypte et le Soudan exigent depuis 2015 un accord tripartite juridiquement contraignant fixant des règles précises sur le rythme de remplissage du réservoir (145 milliards de m³ à terme) et sur l’exploitation en période de sécheresse prolongée. L’Éthiopie, qui a achevé en septembre 2025 la sixième et dernière phase de remplissage (le réservoir est désormais à son niveau maximal), refuse tout mécanisme qui limiterait sa souveraineté sur l’ouvrage.
Les derniers pourparlers sous l’égide de l’Union africaine, relancés à plusieurs reprises entre 2020 et 2023 avec le soutien des États-Unis, de l’ONU et parfois des Émirats arabes unis, n’ont abouti à rien. Le Caire accuse Addis-Abeba de « faits accomplis » ; Addis-Abeba reproche au Caire de vouloir « geler le développement des pays amont ».
Sur le terrain, l’Éthiopie renforce depuis deux ans ses défenses antiaériennes autour du site du GERD et a signé des accords de coopération militaire avec la Turquie et l’Iran (drones, systèmes de défense). De son côté, l’Égypte a multiplié les exercices conjoints avec le Soudan et reçu en 2024-2025 d’importants lots de Rafale et de missiles air-sol.
Ce bras de fer s’inscrit dans un contexte régional déjà explosif : guerre civile au Soudan (depuis avril 2023), fragilité somalienne, rivalités dans la Corne de l’Afrique entre puissances du Golfe, Turquie, Chine et Occidentaux. Le Nil est devenu l’un des principaux points de friction du continent.

























