C’est une bombe médiatique qui éclate un an jour pour jour après la chute de Damas. Hier soir, la chaîne saoudienne Al-Arabiya a diffusé plusieurs vidéos tournées en 2018 dans la voiture blindée de Bachar al-Assad, en présence de sa conseillère la plus influente, Luna al-Shibl, officiellement décédée en juillet 2024 dans un « accident » de la route. Les images, retrouvées dans une enveloppe marquée « TOP SECRET » au palais présidentiel de la Ghouta, sont accablantes et dévoilent un Assad cynique, moqueur et profondément déconnecté.
Dès les premières minutes, le ton est donné. Assad se permet de se moquer non seulement du Hezbollah — « ils fanfaronnaient, maintenant silence total » — mais aussi de ses propres soldats, qu’il oppose à ses caprices narcissiques : « regarde-les, ils embrassent la chaussure ». Les attaques vont jusqu’à Suheil al-Hassan, qualifié implicitement d’« animal », et jusqu’aux Syriens eux-mêmes, décrits comme « construisant des mosquées sans avoir de quoi manger ».
Mais c’est une autre séquence qui a provoqué un véritable séisme diplomatique, car elle touche celui qui a sauvé Assad à coups de bombardiers et de milliards : Vladimir Poutine.
Dialogue révélateur :
Luna al-Shibl : « T’as vu Poutine, comme il est gonflé ? »
Assad (riant) : « Tout ça, c’est des opérations… »
Luna al-Shibl : « Poutine c’est que des opérations, il a 65 ans… le film le dévoile beaucoup. »
En clair, Poutine, le parrain de la survie du régime Assad, est décrit comme un vieillard retouché au botox. Une humiliation en règle, prononcée par celui qu’il a protégé.
Depuis décembre 2024, Assad vit en Russie sous un asile « humanitaire » discrètement surveillé, dans une résidence à Moscou, entourée d’une poignée de fidèles. Jusqu’ici, le Kremlin fermait les yeux sur cette présence embarrassante : Assad n’était plus utile, mais le livrer aurait été politiquement trop coûteux. Or la fuite de ces vidéos bouleverse totalement l’équation, et met Moscou face à un dilemme stratégique inédit.
Poutine n’est pas seulement un dirigeant : il cultive une image de virilité, de force et d’autorité incontestable. Se voir moqué sur son âge et son apparence par Assad — l’homme même qu’il a maintenu au pouvoir et sauvé de l’effondrement — constitue une attaque personnelle d’une violence symbolique extrême. L’orgueil blessé de Poutine entre désormais en collision avec le calcul politique.
Car, un an après la chute d’Assad, Moscou a déjà tourné la page. Des négociations sont en cours avec le nouveau gouvernement syrien pour maintenir les bases militaires de Tartous et Hmeimim ; des contacts sont établis avec les Kurdes ; et même des signaux d’ouverture sont envoyés à Israël. Dans ce contexte, protéger un Assad devenu inutile, encombrant et désormais ingrat représente davantage un fardeau qu’un atout stratégique.
À ce calcul froid s’ajoute un élément nouveau : une pression populaire syrienne inédite. Dans les rues de Damas, Homs et Alep, les vidéos font l’effet d’une déflagration. Pour la première fois, les Syriens entendent leur ancien tyran cracher sur leurs souffrances, tourner en dérision la Ghouta martyrisée et mépriser les soldats qui l’ont servi. Face à cette indignation collective, livrer Assad — que ce soit à un tribunal syrien ou à une juridiction internationale — pourrait même devenir, pour Moscou, un geste diplomatique habile, permettant de regagner une partie de sa crédibilité régionale.
Ainsi, Assad se retrouve désormais suspendu au bon vouloir du Kremlin. Le scénario le plus probable (65-70 %) est celui d’un exil qui se transforme insensiblement en prison : officiellement, rien ne change, mais en réalité il serait déplacé dans une datcha isolée, coupé du monde, sous surveillance renforcée. L’immunité demeure, mais la liberté disparaît. Un scénario intermédiaire (20-25 %) consisterait en une exfiltration vers un pays tiers — l’Algérie, le Venezuela, Oman, voire l’Iran — même si Téhéran lui garde rancœur. Il conserverait alors son intégrité physique mais perdrait définitivement son immunité russe. Quant au scénario explosif (10 %), il verrait Moscou, blessé et pragmatique, utiliser Assad comme monnaie d’échange, en le remettant soit à Damas, soit à la Cour pénale internationale : ce serait la fin de la partie judiciaire.
Pour la première fois depuis 2011, Bachar al-Assad n’est plus maître de son image ni de son avenir. Ce qui devait n’être qu’une fuite embarrassante devient peut-être la faille stratégique qui fissure le dernier rempart le protégeant. Comme l’a résumé hier soir un analyste damascène : « Il a insulté le seul homme qui pouvait encore le protéger. Game over. »
La réaction — ou le silence — du Kremlin, dans les prochains jours, fera office de verdict. En se moquant de Poutine, Bachar al-Assad vient peut-être de signer la fin de son immunité. Et cette fois, personne ne viendra le sauver.


























