Alger, 1er décembre 2025 – La rencontre entre le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, et son homologue biélorusse, Maxim Ryzhenkov, ce lundi soir à Alger, dépasse largement le cadre d’un simple protocole diplomatique. Elle constitue la dernière étape avant la première visite officielle du président Alexandre Loukachenko en Algérie, prévue dans les semaines à venir, probablement mi-décembre, dans le cadre d’un itinéraire régional incluant Oman et le Kirghizistan.
Cette visite intervient à un moment stratégique. Les relations bilatérales, établies depuis 1993 et renforcées par la première session de la Commission mixte en avril 2025, prennent désormais une dimension politique majeure. Au-delà des échanges économiques – engrais, machines agricoles, produits halal – il s’agit d’un choix résolument politique, dans un contexte mondial marqué par la multipolarité et les sanctions occidentales.
La réélection contestée de Loukachenko le 26 janvier 2025, avec un score officiel de 88 %, a renforcé l’isolement international de Minsk. Les quatorze séries de sanctions occidentales, combinées à une récession persistante et à une dévaluation monétaire de 60 % en cinq ans, rendent chaque succès diplomatique vital pour le président biélorusse. La visite en Algérie lui permet de projeter une image d’influence internationale et de consolider son capital politique, notamment en Afrique.
Pour l’Algérie, inviter Loukachenko s’inscrit dans une stratégie d’autonomie face aux pressions occidentales. Un an après son élection en 2024, Tebboune cherche à diversifier les alliances et à renforcer le rôle du pays dans le Sud global. La rencontre Attaf-Ryzhenkov, qui suit la réunion de Loukachenko avec le sultan omanais, aligne les deux pays sur une vision commune : refuser les sanctions unilatérales et affirmer la souveraineté nationale.
Pour Loukachenko, cette visite est une bouffée d’oxygène politique. Présentée comme partie d’un « grand tour » (Oman, Algérie, OTSC à Bichkek), elle vise à diversifier ses alliances face à une Europe fermée, à affirmer sa présence en Afrique et à renforcer un rôle de médiateur potentiel sur le dossier ukrainien. Alger devient ainsi un « hub » pour Minsk en Afrique du Nord : plateforme d’exportation de technologies et de produits industriels, tout en contournant les sanctions occidentales. La dimension symbolique n’est pas moindre : en se présentant comme « ami de l’Afrique », Loukachenko renforce son image internationale et celle de son régime, notamment via des initiatives de soft power, telles que l’accueil d’enfants algériens dans des camps biélorusses.
Le calendrier est également dicté par des enjeux internes à Minsk. Après avoir écarté les spéculations sur son fils Nikolaï et nié vouloir briguer un huitième mandat en 2030, Loukachenko a relâché 300 prisonniers politiques pour apaiser Washington et préparer un dialogue diplomatique sur l’Ukraine. Dans ce contexte, l’Algérie, neutre sur Kiev, apparaît comme un terrain idéal pour relayer des positions anti-occidentales et démontrer que Minsk peut encore peser sur la scène internationale.
La séquence diplomatique est claire et volontairement provocatrice. En recevant successivement Ryzhenkov puis Loukachenko, Tebboune et Attaf envoient un message direct à l’Occident : l’Algérie n’accepte plus de se conformer aux listes noires imposées par Washington, Bruxelles ou Paris. Accueillir Loukachenko, considéré par les chancelleries occidentales comme le dernier dictateur d’Europe et cible de sanctions massives depuis 2020, constitue un acte de défi assumé. Alger affirme sa capacité à traiter avec des régimes « persona non grata » pour défendre sa souveraineté et ses intérêts stratégiques. Ce choix s’inscrit dans le prolongement du renforcement du partenariat stratégique avec Moscou (mars 2025) et vise à protéger le pays contre les sanctions secondaires américaines (CAATSA).
Sur le plan économique, la démarche reste pragmatique : après avoir porté les échanges bilatéraux à 200 millions de dollars lors de la Commission mixte d’avril 2025, Alger ambitionne désormais de doubler ce chiffre grâce à des projets agro-industriels et énergétiques alignés sur le Plan national de sécurité alimentaire. Loukachenko, relais industriel fidèle de Moscou, sert de cheval de Troie russe en Afrique du Nord.
Le risque est assumé, presque affiché. En ouvrant largement ses portes à un dirigeant aussi controversé aux yeux de l’Occident, Tebboune prend le pari d’irriter ses principaux clients énergétiques et partenaires sécuritaires. Mais pour le pouvoir algérien, le jeu en vaut la chandelle : il s’agit de réaffirmer, par un coup d’éclat, que l’Algérie n’est plus un État vassal et qu’elle est prête à payer le prix de son indépendance, même si cela implique de s’asseoir à la table des dictateurs pour faire entendre sa voix dans un monde en pleine fracture.

























