Kaboul/New Delhi, 4 octobre 2025 –ceux que le Pakistan a nourris, armés et abrités pendant des décennies choisissent aujourd’hui de tourner le dos à Islamabad. Le mollah Amir Khan Muttaqi, ministre taliban des Affaires étrangères, ne commencera pas sa tournée diplomatique au Pakistan – comme il aurait été logique jadis – mais à Moscou, avant de s’envoler vers New Delhi. Une gifle retentissante pour l’armée pakistanaise, qui croyait tenir l’Afghanistan sous sa coupe.
Le Pakistan se retrouve piégé dans son propre jeu. En voulant faire de l’Afghanistan son « cinquième État », Islamabad a multiplié les humiliations : expulsions massives de réfugiés afghans, frappes aériennes sanglantes en décembre 2024, imposition de la clôture le long de la ligne Durand. Résultat ? Les talibans, jadis considérés comme des marionnettes, ont arraché leurs fils. Aujourd’hui, Kaboul renvoie au Pakistan l’image d’un parrain trahi et marginalisé, incapable même d’empêcher l’ONU d’autoriser le déplacement de Muttaqi.
La participation des talibans au format de Moscou comme membres à part entière – et non plus comme simples invités – symbolise leur promotion diplomatique. La Russie, qui les a désormais reconnus, leur offre une tribune. Puis viendra Delhi, une première historique qui marquera la normalisation d’un dialogue que beaucoup croyaient impossible.
New Delhi, sans les reconnaître officiellement, entretient déjà des canaux pragmatiques : aide humanitaire, reprise de certains projets de développement, coopération discrète. C’est un calcul froid : peser face à Islamabad et Pékin sans salir son image internationale.
Ne nous y trompons pas , si les talibans tendent la main à l’Inde, ce n’est pas par conviction, mais par opportunisme. Leur discours d’« alliés » masque une stratégie cynique : se servir de Delhi comme levier pour humilier le Pakistan et négocier plus fort sur la scène régionale. Ils savent jouer des contradictions, flatter les uns, défier les autres, tout en imposant chez eux un régime que ni l’Inde ni la Russie ne cautionnent.
Ce rapprochement n’en reste pas moins un camouflet historique pour Islamabad. Voir ses anciens protégés se pavaner à Delhi – capitale de son rival juré – est une humiliation que le chef de l’armée pakistanaise, le mollah Munir, aura du mal à digérer. La diplomatie pakistanaise se retrouve dans la position d’un joueur d’échecs qui a perdu son roi : ses alliés d’hier sont devenus ses accusateurs d’aujourd’hui.
Le signal est limpide , l’Afghanistan taliban ne sera plus une dépendance pakistanaise. Entre Moscou et Delhi, Kaboul cherche à se doter de nouveaux parrains, quitte à pratiquer un double jeu permanent. Islamabad, lui, récolte les fruits amers d’une politique de domination arrogante.
La question n’est plus de savoir si les talibans ont tourné le dos au Pakistan, mais si cette trahison assumée n’annonce pas une recomposition brutale de tout l’équilibre régional.