Le Royaume-Uni traverse une crise hivernale inédite. Une grippe mutante, surnommée « super-grippe » par les médecins eux-mêmes, explose sur tout le territoire. Pas une simple épidémie saisonnière : un H3N2 du sous-clade K redoutablement contagieux, partiellement échappé à l’immunité vaccinale des années précédentes, capable de précipiter des patients en réanimation avant même l’apparition de symptômes clairement identifiables.
Les conséquences sont vertigineuses. La semaine dernière, 2 660 lits hospitaliers étaient occupés quotidiennement par des patients grippés, soit une progression fulgurante de 55 % en l’espace de sept jours, tandis que la courbe épidémique poursuit son ascension exponentielle. Les services d’urgence sont saturés jusqu’à l’asphyxie, les ambulances immobilisées pendant des heures à l’entrée des hôpitaux, et des patients succombent sur des brancards de fortune, dans des couloirs ou sur des parkings, faute de capacités d’accueil suffisantes. Dans le nord de l’Angleterre et les Midlands, plusieurs établissements ont déjà déclenché l’alerte maximale, l’« OPEL 4 », synonyme d’un système passé au-delà de son point de rupture.
C’est dans ce contexte de désorganisation extrême que 50 000 médecins résidents annoncent la suspension de leur activité du 17 au 22 décembre. Cinq journées consécutives. À l’orée des fêtes de fin d’année.
Pour le gouvernement de Keir Starmer, cette décision relève de l’irresponsabilité morale, voire de la trahison. Pour la British Medical Association, elle constitue l’ultime levier d’un corps médical épuisé, déconsidéré et financièrement laminé. Les médecins dénoncent l’érosion continue de leur pouvoir d’achat depuis plus de quinze ans, l’accumulation de gardes harassantes, la pénurie chronique de personnel et l’exode croissant des praticiens expérimentés. Ils soutiennent ne plus être en mesure de garantir la sécurité des patients précisément parce qu’ils continuent à exercer dans des conditions devenues intenables.
L’exécutif tente d’imposer une lecture essentiellement morale du conflit : faire grève en pleine vague grippale serait « dangereux », « indéfendable », « inconcevable ». Le parallèle avec la pandémie de Covid-19 est constamment invoqué, comme une injonction à un sacrifice supplémentaire. Mais dans les hôpitaux, nombreux sont ceux qui rétorquent que le NHS vit dans un état de crise permanente depuis plus d’une décennie, sans moyens à la hauteur, sans reconnaissance durable, et sans perspective de redressement.
Au-delà de l’affrontement salarial, cette crise met à nu une réalité plus profonde : le NHS ne survit plus que grâce à la culpabilité et à l’abnégation de ceux qui le font fonctionner. Listes d’attente record, sous-effectifs structurels, couverture vaccinale insuffisante, démissions en cascade — la « super-grippe » n’a pas provoqué l’effondrement du système, elle en a simplement accéléré la révélation.
À l’approche de Noël, le Royaume-Uni retient son souffle. Si la grève est maintenue, le pays pourrait connaître un « Black Christmas » sanitaire d’une ampleur inédite. Si elle est suspendue, il ne s’agira que d’un sursis. Car désormais, entre un virus devenu plus agressif et un système de santé exsangue, c’est l’ensemble du modèle britannique de protection sanitaire qui vacille dangereusement.


























