Le Sénégal a annoncé la suspension instantanée de toutes les extraditions vers la France, invoquant un principe de réciprocité dans les accords bilatéraux d’entraide judiciaire. Cette décision, révélée par la ministre de la Justice, Yassine Fall, lors d’une séance parlementaire à Dakar consacrée au vote du budget de son ministère, marque un durcissement notable des relations judiciaires entre les deux pays, dans un contexte de tensions plus larges sur les liens franco-sénégalais.
Au cœur de cette décision se trouve le refus de la France d’extrader deux ressortissants sénégalais. Dakar affirme avoir fourni « toutes les justifications » nécessaires, mais n’a reçu aucune réponse favorable de Paris. La ministre Fall a dénoncé cette « non-coopération », soulignant que la France laisse ces personnes en liberté, alors que la pratique sénégalaise consisterait, selon elle, à les arrêter immédiatement si elles étaient reconnues coupables.
En riposte, le Sénégal refuse désormais d’extrader les douze personnes recherchées par la justice française pour divers crimes présumés. Cette mesure restera en vigueur « jusqu’à ce que la France réponde favorablement à nos demandes ». Le gouvernement sénégalais insiste sur l’importance de l’application équilibrée des accords internationaux, sans « géométrie variable ».
Cette décision intervient également dans le prolongement du différend autour du magnat des médias sénégalais Madiambal Diagne, critique virulent du gouvernement. Fin septembre 2025, Diagne a fui la France pour le Sénégal, alors qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt pour des « irrégularités financières présumées ». Fin novembre, une cour d’appel française à Versailles a reporté sa décision et demandé des précisions supplémentaires à Dakar, ce que le gouvernement sénégalais a perçu comme un obstacle injustifié.
L’affaire a rapidement pris une dimension politique : en octobre 2025, deux journalistes sénégalais ont été arrêtés après des entretiens avec Diagne, suscitant une indignation internationale pour atteinte à la liberté de la presse. Bien qu’ils aient été rapidement libérés, l’incident a amplifié les critiques contre le pouvoir en place.
Depuis le renversement de l’ancien président Macky Sall en 2024, perçu comme un allié proche de Paris, le nouveau gouvernement sénégalais, dirigé par Bassirou Diomaye Faye, adopte une posture plus souverainiste et critique envers la France. Cette orientation s’inscrit dans une vague de « désengagement » en Afrique de l’Ouest, marquée par le retrait des troupes françaises du Sénégal en juillet 2025 et les critiques croissantes sur l’influence économique et culturelle de Paris.
Si les relations bilatérales ne sont pas rompues, des gestes comme la suspension des extraditions illustrent clairement la volonté de Dakar de rééquilibrer les partenariats, en insistant sur la souveraineté nationale et l’équité dans les relations internationales.
Cette mesure est temporaire et conditionnelle, mais elle pourrait compliquer la coopération judiciaire et diplomatique si les tensions persistent. Dakar rappelle que le Sénégal n’extrade pas ses propres citoyens, y compris les binationaux, renforçant ainsi son argumentaire basé sur la réciprocité. Des négociations diplomatiques pourraient suivre, notamment à la lumière de la visite récente de Faye à Emmanuel Macron en août 2025, destinée à « réinitialiser » les relations. L’affaire Diagne demeure un point sensible, mêlant justice, liberté de la presse et enjeux géopolitiques.


























