Khartoum, 8 décembre 2025 – Ce lundi, le Soudan s’est retrouvé plongé dans l’obscurité la plus totale. Une panne générale d’électricité, d’une ampleur rarement observée ces dernières années, a frappé l’ensemble du territoire national, des rives du Nil Blanc et du Nil Bleu jusqu’aux confins du Darfour et de la mer Rouge. Hôpitaux, administrations, stations de pompage d’eau, marchés et aéroports intérieurs : rien n’a été épargné, laissant le pays face à une paralysie sans précédent.
La Compagnie soudanaise de distribution d’électricité (NECS) a rapidement publié un communiqué laconique mais lourd de conséquences, expliquant qu’une tentative technique d’installation d’un nouveau transformateur dans l’État du Nord avait provoqué une réaction en chaîne entraînant l’effondrement complet du réseau national. En clair, ce qui devait être une opération de modernisation s’est transformée en cauchemar technique, faisant tomber l’ensemble du système interconnecté comme un château de cartes.
À Khartoum, Omdurman et Bahri, les trois villes jumelles qui forment la mégalopole de plus de 8 millions d’habitants, le silence électrique est assourdissant dès les premières heures, car plus aucun feu de circulation ne fonctionne, plus aucun climatiseur ne tourne et les réfrigérateurs des pharmacies risquent de perdre leur insuline et leurs vaccins en quelques heures seulement. Dans les quartiers populaires, les générateurs privés, déjà rares et hors de prix en raison de la pénurie chronique de carburant, tournent à plein régime… quand ils démarrent.
Cette situation met au grand jour la fragilité structurelle du réseau électrique soudanais, qui s’effondre de nouveau après des incidents similaires, mais dont l’ampleur et la durée annoncée inquiètent particulièrement. Le pays, déjà ravagé par près de deux ans de guerre civile entre l’armée régulière et les Forces de soutien rapide (FSR), voit ses infrastructures, autrefois parmi les plus solides d’Afrique de l’Est, se déliter à vue d’œil.
Même si les barrages hydroélectriques du Nil (Merowe, Roseires, Sennar) produisent encore de l’électricité, le réseau de transport et de distribution, mal entretenu et régulièrement saboté pendant le conflit, n’arrive plus à acheminer le courant jusqu’aux consommateurs. Les lignes haute tension traversent des zones de combat, certaines ont été volontairement coupées ou endommagées lors des affrontements, et d’autres pylônes gisent au sol depuis des mois sans qu’aucune réparation n’ait pu être effectuée. Ironie du sort : l’installation du fameux « nouveau transformateur » dans l’État du Nord, destinée à renforcer la capacité de transmission vers Khartoum et les régions centrales, a paradoxalement provoqué la chute totale du réseau.
Les conséquences sont immédiates et lourdes. Les hôpitaux fonctionnent tant bien que mal sur des générateurs d’urgence, mais le gasoil vient rapidement à manquer. Les stations de pompage d’eau potable sont à l’arrêt, privant plusieurs quartiers de la capitale d’eau courante. Les télécommunications vacillent, car les antennes relais ne tiennent que tant qu’elles ont du carburant, et les réseaux mobiles commencent déjà à faiblir. Les marchés, ravitaillés au compte-gouttes en raison de l’insécurité, voient leurs stocks de produits frais menacés. Dans les campagnes et les villes secondaires, où le courant n’était déjà plus stable depuis des mois, cette nouvelle panne ne fait que prolonger une souffrance devenue routinière.
La NECS assure que « les équipes techniques travaillent sans relâche » et que le courant sera rétabli « progressivement dans les heures qui viennent ». Des sources gouvernementales citées par plusieurs médias arabes et internationaux évoquent un retour à la normale « avant la fin de journée » pour Khartoum et les grandes villes, puis dans les 48 heures pour le reste du pays. Pourtant, le scepticisme demeure : le Soudan a déjà connu des blackouts de plusieurs jours, voire de plusieurs semaines, après des incidents moins graves, chaque fois accompagnés du même cortège de problèmes : manque de pièces détachées, pénurie de devises pour les importer, techniciens qualifiés partis à l’étranger ou bloqués par les combats.
Et ce soir, plongés dans une obscurité oppressante, des millions de Soudanais, à Khartoum comme à Port-Soudan ou à El-Facher, peinent à se procurer la moindre chandelle pour illuminer leurs foyers. Même les généraux, ces seigneurs de la guerre qui se disputent le pays à coups de milliards et de drones, fouillent en vain leurs résidences blindées à la recherche d’une bougie ou d’un briquet.
Dans ce noir absolu, la vérité éclate enfin, crue et impitoyable : un État béni par la nature, gorgé de pétrole, d’or et du plus long fleuve d’Afrique, a réussi l’exploit de s’effondrer tout seul. Pas sous les bombes étrangères, pas sous le joug d’un colon, mais sous le poids de ses propres divisions, de sa cupidité et de son incurie.
L’électricité reviendra peut-être demain, ou dans une semaine, ou jamais. Peu importe. Ce qui ne reviendra pas de sitôt, c’est la dignité d’un peuple abandonné par ceux qui prétendaient le diriger. Dans l’obscurité de cette nuit soudanaise, une seule lueur persiste : celle de la colère qui monte, lente mais inexorable, et qui finira bien par allumer autre chose que des bougies.



























