Le 1er octobre 2025, la chambre criminelle du tribunal de première instance de Nabeul a prononcé une condamnation à mort contre Saber Chouchane, 41 ans, travailleur journalier originaire du Cap Bon et père de trois enfants. Son « crime » : des publications Facebook jugées offensantes envers le président de la République, Kaïs Saïed.
Sous le pseudonyme « Kaïs Ettais » – littéralement « Kaïs l’infortuné » –, Chouchane partageait des textes satiriques, parfois critiques, portant aussi bien sur l’actualité nationale que sur des questions internationales, notamment la situation en Palestine. Sa page, suivie par seulement 260 abonnés, n’avait qu’un impact limité, une dizaine de réactions en moyenne par publication, rarement davantage. Malgré cette portée restreinte, ses écrits ont suffi à attirer l’attention des autorités et à déclencher une procédure judiciaire lourde de conséquences.
Arrêté le 24 janvier 2024, Chouchane avait d’abord été présenté devant le pôle judiciaire antiterroriste. Ce dernier s’était déclaré incompétent et avait renvoyé l’affaire à la juridiction ordinaire de Nabeul. Le procès s’est conclu par une condamnation capitale – une peine dont l’exécution est suspendue en Tunisie depuis 1991 mais qui reste symboliquement lourde.
Les chefs d’inculpation retenus sont graves : « outrage au président de la République », « atteinte visant à modifier la forme de l’État » et « publication de fausses nouvelles visant un fonctionnaire public ».
L’avocat de l’accusé, Oussema Bouthelja, a exprimé son incompréhension face à ce verdict, le qualifiant d’« inédit et disproportionné » pour de simples publications sur les réseaux sociaux.
Depuis le coup de force du 25 juillet 2021, Kaïs Saïed concentre l’ensemble des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Plusieurs opposants, journalistes et militants ont été arrêtés ou poursuivis, notamment pour des prises de parole critiques sur les réseaux sociaux.
Le cas de Saber Chouchane illustre cette dérive. Son compte Facebook, loin d’être une tribune influente, avait plutôt valeur de défouloir personnel, entre ironie et critique politique. Pourtant, la justice l’a assimilé à une menace pour l’ordre de l’État.
La décision du tribunal de Nabeul a immédiatement provoqué une onde de choc dans l’opinion publique et parmi les défenseurs des droits humains. Des ONG locales et internationales dénoncent une atteinte flagrante à la liberté d’expression, garantie par la Constitution tunisienne mais de plus en plus bafouée.
Si la peine de mort n’est plus appliquée en Tunisie depuis plus de trois décennies, sa prononciation demeure un signal fort : celui d’un pouvoir qui cherche à dissuader toute critique publique, même marginale, par l’intimidation judiciaire