Paris, 19 novembre 2025. Boualem Sansal, écrivain franco-algérien dont le nom fait frémir les censeurs d’Alger, a retrouvé mardi le sol français, un an après avoir été emprisonné. À 81 ans, alors que son cancer de la prostate était déjà métastasé, il a passé douze mois à dormir sur une paillasse dans une cellule de la prison d’El Harrach, puni pour avoir osé remettre en question l’« unité nationale ».
Les accusations portées contre lui relèvent d’une absurdité glaçante : « porter atteinte à l’unité nationale » et « mettre en danger la sécurité de l’État »… pour avoir rappelé, dans une interview à un média français, que les frontières de l’Algérie contemporaine avaient été tracées à la règle par la colonisation française et que, soixante-trois ans après l’indépendance, le pays restait sous le joug d’un « système politico-militaire » qui confisque la parole. Dans n’importe quelle démocratie, ces propos auraient suscité débat et réflexion ; en Algérie, ils valent la prison. Un crime impardonnable pour un régime qui étouffe toute dissidence sous le masque de la souveraineté, dans ce qui apparaît comme l’un des plus flagrants exemples contemporains de répression de la liberté d’expression.
À Paris, Emmanuel Macron, autoproclamé champion des droits humains, l’accueille à bras ouverts à l’Élysée, se disant « profondément réjoui » de retrouver ce « grand écrivain dont la dignité, la force morale et le courage ont été exemplaires ». L’histoire franco-algérienne est un éternel tango de ruptures et de réconciliations : chaque pas en avant est aussitôt suivi de deux pas de côté. Macron avait amorcé une ouverture en 2017 avec sa phrase sur « la colonisation, crime contre l’humanité », qui fit grincer des dents tout en ouvrant quelques cœurs à Alger. Puis vinrent les critiques sur la « rente mémorielle » et le « système politico-militaire », suivies de brouilles, de réconciliations, de gel et de dégel… jusqu’à ce numéro de prestidigitation autour d’un vieil écrivain malade.
Rien dans cette libération ne relève d’un élan soudain de justice ou de raison. C’est le fruit d’une transaction diplomatique soigneusement orchestrée : l’Algérie devait décrisper l’atmosphère avant le sommet du G20 à Johannesburg et avant les commémorations du 1er novembre, date sacrée de la Révolution. On ne badine pas avec le calendrier symbolique quand on règne par le symbole. Il est libre parce qu’il s’appelle Boualem Sansal, parce qu’il est traduit en vingt langues, parce qu’il a le prix de la Paix de la foire du livre de Francfort, parce que son état de santé faisait peser le risque d’un décès en détention, politiquement explosif. Il est libre parce que son corps, rongé par la maladie, était devenu une bombe à retardement diplomatique.
Ce week-end à Johannesburg, Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune se serreront probablement la main devant les caméras, échangeront des sourires crispés et parleront de « partenariat d’exception rénové », signeront quelques accords sur le gaz naturel liquéfié ou la migration… et le monde oubliera, l’espace d’un flash, Khaled Drareni, Mohamed Tadjadit, Ibtissam Bouchafa, Slimane Bouhafs et des dizaines d’autres journalistes, militants et poètes qui pourrissent dans les mêmes geôles pour des délits d’opinion. Le reporter français Christophe Gleizes, arrêté en mars 2025 alors qu’il couvrait une manifestation du Hirak à Oran, est lui aussi toujours détenu sans jugement.. ET que l’Algérie figure, année après année, parmi les pays qui emprisonnent le plus de journalistes au monde, juste derrière la Chine, la Turquie ou l’Égypte.
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