Damas, 5 octobre 2025 – La Syrie a tenu dimanche ses premières élections parlementaires depuis la chute de Bachar al-Assad, au terme d’un processus que de nombreuses ONG et chancelleries occidentales jugent opaque, autoritaire et dépourvu de véritable pluralisme.
Surnommé par certains « le nouvel homme fort de Damas », Ahmed al-Charaa promet inclusion et transition démocratique. Mais le scrutin indirect qu’il impose ressemble davantage à un jeu de poupées russes, chaque niveau de désignation, chaque comité provincial, chaque candidature validée a été choisi pour garantir une assemblée docile et fidèle.
Sur 210 députés, 70 sont nommés directement par al-Charaa, tandis que les 140 restants émergent d’un processus labyrinthique contrôlé par ses alliés. Les candidatures dissidentes – laïques, kurdes ou modérées – se limitent à un rôle symbolique. La parité hommes-femmes est oubliée : seules 14 % des candidates ont été retenues, un chiffre qualifié de « régressif » par l’ONU. Amnesty International dénonce une « façade démocratique masquant une mainmise verticale ».
Le Parlement, censé incarner l’unité nationale, ignore superbement les provinces kurdes du nord-est et la région druze de Soueida. Les Forces démocratiques syriennes (FDS), garantes d’une Syrie multiethnique, boycottent massivement le scrutin, dénonçant un processus « centralisateur et exclusif ». Mazloum Abdi, commandant des FDS, explique depuis Qamichli : « Nous ne participerons pas à la légitimation d’un régime qui nie notre existence. »
Ce choix d’ignorer des territoires entiers illustre la contradiction centrale du régime : parler d’unité nationale tout en consolidant un pouvoir personnel et centralisé.
Al-Charaa justifie sa poigne de fer par la « nécessité impérieuse de stabilité », un refrain qui rappelle étrangement les premiers discours d’Assad. Mais la population vit encore sous le poids de quinze ans de guerre civile : pénuries, inflation galopante, camps de réfugiés surpeuplés. La « victoire » de décembre 2024 n’a pas effacé les cicatrices. Les manifestations sporadiques, réprimées dans les grandes villes, témoignent d’un mécontentement latent : la transition profite surtout à l’entourage du président intérimaire.
Le Parlement post-Assad ne se limite pas à Damas. Il redessine les lignes géopolitiques du Moyen-Orient. Ankara savoure la reprise en main du nord syrien, freinant les ambitions kurdes à sa frontière. L’Iran, affaibli par ses pertes humaines et financières, se retire discrètement. Moscou réduit ses troupes et joue une diplomatie silencieuse. Les monarchies du Golfe flairent l’occasion de réintégrer Damas dans le concert arabe et d’investir massivement.
Le résultat : un Parlement qui, sous couvert de démocratie, sert d’abord les intérêts d’al-Charaa et de ses parrains régionaux. Les Kurdes et autres minorités persistent dans leur résistance, tandis que les regards du monde scrutent un processus qui ressemble plus à une pièce de théâtre politique qu’à une réelle transition démocratique.
Les Kurdes, qui contrôlent une grande partie du nord-est syrien, ont refusé de participer à ce qu’ils qualifient de « mascarade politique ».
Leur projet d’un système fédéral décentralisé reste incompatible avec la vision centralisatrice d’Ahmed al-Charaa, soutenue par Ankara, qui craint toute forme d’autonomie kurde à ses frontières.