La Syrie a entamé mardi une étape judiciaire longtemps attendue : l’ouverture du premier procès consacré aux massacres intercommunautaires qui ont endeuillé la côte syrienne en mars dernier. Devant la cour d’Alep, quatorze personnes ont comparu pour répondre d’une partie des atrocités qui ont fait plus de 1 400 morts — en majorité des civils alaouites — selon la commission nationale d’enquête.
Cette audience, suivie de près par l’opinion publique et les ONG internationales, marque le début d’un processus judiciaire complexe autour de l’un des épisodes les plus meurtriers du pays depuis la chute de Bachar al-Assad en décembre 2024. Dès l’ouverture du procès, la composition des accusés a révélé la nature profondément fragmentée du dossier : les quatorze prévenus se répartissent en deux groupes distincts de sept personnes, représentant à la fois des partisans de l’ancien régime et des membres des nouvelles forces gouvernementales.
D’un côté, les présumés partisans de l’ancien pouvoir Assad — dont plusieurs anciens militaires — sont accusés d’avoir lancé des attaques coordonnées contre les forces de sécurité. Selon l’acte d’accusation, ils doivent répondre de faits lourds : sédition, incitation à la guerre civile, attaques contre les forces de l’ordre, meurtre, pillage et vandalisme. Bien que les charges soient graves, plusieurs d’entre eux ont plaidé non coupables ; l’un affirme même qu’il se trouvait au Liban lors des violences, tentant ainsi de démontrer son impossibilité matérielle d’implication.
De l’autre côté, les membres des forces gouvernementales actuelles sont eux aussi poursuivis, mais cette fois pour meurtre prémédité, notamment dans le cadre d’opérations menées contre des civils. L’un des accusés apparaît dans une vidéo où il abat un homme désarmé ; toutefois, il soutient que les images auraient été « fabriquées par l’intelligence artificielle ». La cour n’a pas encore statué sur l’authenticité de cette séquence, mais celle-ci pourrait, si elle est jugée véridique, devenir un pivot essentiel du procès.
Face à la complexité du dossier, le président du tribunal, le juge Zakaria Bakkar, a suspendu l’audience après ces premières comparutions, tout en réaffirmant que la cour demeurait « souveraine et indépendante ». Un calendrier précis a été établi : le 18 décembre pour la poursuite du procès des accusés soupçonnés de sédition, et le 25 décembre pour l’examen des charges visant les membres des forces gouvernementales. Ces deux audiences seront cruciales pour déterminer les responsabilités croisées qui entourent les événements de mars.
Si ces audiences revêtent une telle importance, c’est parce qu’elles concernent des violences d’une ampleur sans précédent dans la Syrie post-Assad. Les massacres se sont déroulés dans une région à majorité alaouite — la communauté de l’ex-président — et les bilans divergent : la commission nationale d’enquête évoque 1 426 morts, tandis que l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) avance près de 1 700 victimes, dont une « écrasante majorité » de civils alaouites.
En parallèle, la même commission a recensé la mort de 238 membres des forces de sécurité et de l’armée, tués dans des attaques attribuées aux partisans d’Assad. En réaction à ce déchaînement de violence, les autorités ont déployé jusqu’à 200 000 combattants en renfort dans la région — un chiffre qui illustre l’ampleur de la crise sécuritaire et la tension extrême qui régnait alors sur la côte.
Les ONG syriennes et internationales ont, quant à elles, documenté des exactions intercommunautaires d’une brutalité exceptionnelle : villages incendiés, familles entières exécutées, affrontements entre forces gouvernementales, groupes armés alliés et volontaires locaux. Plusieurs de ces crimes pourraient relever de crimes de guerre, selon des enquêteurs de l’ONU.
Ainsi, ce premier procès ne constitue pas seulement un moment judiciaire ; il représente également une tentative, encore hésitante, de reconstruire un semblant de vérité et de justice dans une Syrie où les plaies restent béantes. Reste désormais à savoir si ce processus permettra, enfin, de répondre aux attentes des milliers de familles endeuillées, en quête d’une reconnaissance et d’une réparation qui leur ont longtemps été refusées.



























