À 81 ans, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, natif de Theniet El Had, a été libéré le 12 novembre 2025 des geôles du régime algérien, presque un an jour pour jour après son arrestation musclée à l’aéroport d’Alger le 16 novembre 2024. Le président Abdelmadjid Tebboune a accordé une grâce présidentielle pour motifs humanitaires, autorisant son expulsion immédiate vers l’Allemagne, où un avion militaire de transport l’a acheminé vers Berlin en compagnie de l’ambassadeur allemand Georg Felsheim. Cette libération, fruit de tractations diplomatiques secrètes menées depuis des mois entre Paris, Berlin et Alger, marque une victoire discrète pour la diplomatie, après des mois de tensions exacerbées par la reconnaissance française de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en juillet 2024.
Dans un appel téléphonique émouvant relayé par Le Point avec son confrère Kamel Daoud, lauréat du prix Goncourt 2024, Sansal a clamé haut et fort qu’il était en pleine forme physique et morale, prêt à rejoindre Paris dès que possible. « Je ne vais pas être détruit par une petite année de prison, ni par les menaces du dictateur militaire », a-t-il lancé avec une ironie mordante, visant directement les généraux du Club des Pins et leur marionnette Tebboune. Âgé et fragilisé par un cancer de la prostate en traitement, l’octogénaire a minimisé les épreuves subies : « Je suis bien et fort », a-t-il insisté, ajoutant qu’il foulerait le sol parisien « demain ou après-demain ». Pourtant, son séjour berlinois s’est prolongé de quelques jours pour des soins hospitaliers, sa fille Sabeha exprimant un « immense soulagement » et une impatience palpable à l’idée de le revoir.
Les coulisses de cette libération révèlent un ballet diplomatique tendu. Dès le 10 novembre, le président allemand Frank-Walter Steinmeier, agissant comme « tiers de confiance » face à la défiance franco-algérienne, a exhorté Tebboune à un « geste humanitaire » lors d’un appel direct, soulignant l’âge avancé de Sansal et son état de santé précaire. Cette médiation, en consultation étroite avec les diplomates français, a abouti à une « jonction astrale » comme l’a décrit l’écrivain lui-même, après des hésitations de dernière minute : transféré d’une prison à une autre la veille, il a vu des officiels débattre de son sort jusqu’au bout. Emmanuel Macron a salué les « efforts constants de la France », tandis que Bruno Retailleau, ancien ministre de l’Intérieur, y a vu la preuve que la « diplomatie des bons sentiments » n’était pas un fiasco. Des figures comme Tahar Ben Jelloun et Pascal Bruckner ont multiplié les appels à la solidarité, transformant un comité de soutien en célébration émue à l’ESJ Paris.
Pendant son incarcération, Sansal a enduré un régime d’isolement quasi total, digne d’un cauchemar orwellien : visites rarissimes de son épouse Nezha, placement dans une unité sous haute surveillance à El Harrach, interdiction stricte de tout contact avec les autres détenus, et seulement deux repas indigents par jour – des portions faméliques qui laissaient l’estomac vide et la dignité intacte. Privé de téléphone, de livres et de carte SIM dès son arrivée, il n’a eu aucun moyen de communication externe, comme il l’a confié à Daoud : « Quand tu es là-bas, on te prend tout. » Sa famille avait alerté sur la détérioration de sa santé, craignant pour sa vie face à un traitement médical inadéquat.
Sa condamnation, prononcée en première instance en mars 2025 et confirmée en appel le 1er juillet par la cour d’Alger, l’avait épinglé à cinq ans de prison ferme et 500 000 dinars d’amende (environ 3 500 euros) pour « atteinte à l’unité nationale ». Le chef d’accusation ? Des déclarations explosives faites en octobre 2024 lors d’une interview à un média français de droite, où il rappelait que des régions comme Oran et Mascara relevaient historiquement du Royaume du Maroc avant la colonisation française – un tabou absolu pour le régime, qui y voyait une menace à son narratif nationaliste.
Naturalisé français en 2024, Sansal incarne l’une des voix les plus intransigeantes et littéraires du monde francophone nord-africain, avec des œuvres comme 2084 qui fustigent l’islamisme et l’autoritarisme. Ses critiques acerbes contre la dictature militaire algérienne et le pouvoir de Tebboune en ont fait une cible privilégiée, au cœur d’une crise bilatérale franco-algérienne qui a paralysé la coopération sécuritaire et les retours de migrants. Cette expulsion forcée sous couvert de grâce signe l’échec patent du régime, incapable de briser un esprit que même un an de cachot n’a pas plié. Paris l’attend avec ferveur, et le combat pour la liberté d’expression ne fait que s’intensifier.


























