Rome, 2 décembre 2025 – Dans le couloir étroit d’un A320 reliant Beyrouth à Rome, Léon XIV a glissé une phrase qui n’a rien d’anodin : « J’espère faire un voyage en Afrique, et j’espère commencer par l’Algérie. »
Après la Turquie, écartelée entre laïcité dominante et islam politique, et après le Liban meurtri par la guerre de 2024 et l’arrivée au pouvoir de Joseph Aoun, c’est désormais l’Algérie qui s’impose dans son agenda. Un choix chargé de sens.
Dans l’avion papal, Léon XIV a d’abord invoqué un motif personnel : marcher sur les traces de saint Augustin. L’héritage spirituel du docteur d’Hippone, né en 354 à Souk Ahras et figure majeure du christianisme antique, est au cœur de son identité religieuse et intellectuelle.
Si Augustin incarne un patrimoine que l’Algérie revendique comme « fils de la patrie », le pape n’entend toutefois pas réduire son voyage à un pèlerinage. L’Algérie lui apparaît comme un laboratoire unique du dialogue islamo-chrétien : un pays à 99 % musulman, mais porteur d’un passé chrétien prestigieux.
Selon plusieurs sources vaticanes, le Cameroun et la Guinée équatoriale pourraient compléter la tournée africaine. Mais l’Algérie en serait l’étape inaugurale — la plus symbolique, la plus lourde, la plus politique.
Léon XIV se déplace là où les lignes de tension sont les plus vives. Or l’Algérie de 2025 concentre quatre fractures majeures.Trente ans après la décennie noire, les tensions entre islam politique, laïcité d’État et courants rigoristes n’ont jamais complètement disparu. Pour Léon XIV, l’Algérie est une sorte de « Liban maghrébin », un pays où le dialogue interreligieux n’est pas un luxe diplomatique mais une nécessité sociale.
Le Hirak a laissé une jeunesse désillusionnée, tandis que le pouvoir s’est recomposé autour de la réélection d’Abdelmadjid Tebboune en 2024. À l’approche des législatives de 2026, l’Algérie redevient un terrain mouvant. Le pape apprécie ces moments charnières où les sociétés hésitent entre blocage et ouverture.
Guerre d’indépendance, moines de Tibhirine, mémoire coloniale : les relations entre l’Église catholique et l’Algérie restent un nœud de tensions. Le projet de visiter Annaba et Souk Ahras porte un message clair : on peut honorer Augustin sans nier l’Algérie indépendante. Un geste audacieux dans le contexte maghrébin.
Entre un Nord saturé, un Sud gazier délaissé, une Kabylie marginalisée et un chômage massif des jeunes, l’Algérie rappelle au Vatican le Liban des années pré-effondrement. Là où la dignité économique s’effrite, la parole sociale du pape trouve toujours un écho puissant.
Léon XIV a également évoqué un futur voyage en Argentine, au Pérou et en Uruguay, où il fut missionnaire plus de vingt ans. Mais rien n’est fixé pour ces destinations, prévues entre 2026 et 2027.
Quelques jours avant son annonce, Léon XIV était au Liban, tentant d’ouvrir un espace de coexistence dans un pays fracturé, s’arrêtant devant les ruines du port de Beyrouth. Le même principe le conduit à Alger : aller au cœur des failles pour y réintroduire un langage commun.



























