La démission soudaine du ministre nigérian de la Défense, Mohammed Badaru Abubakar, officiellement annoncée « pour raisons de santé », a provoqué un véritable séisme politique à Abuja. Son départ, intervenu seulement huit jours après la déclaration par le président Bola Tinubu d’un état d’urgence sécuritaire national, ne peut en aucun cas être considéré comme une simple coïncidence. Dans la capitale, personne ne croit au prétexte médical : tout indique qu’il s’agit d’un limogeage déguisé, destiné à contenir une crise sécuritaire devenue incontrôlable et à éviter une humiliation institutionnelle plus profonde encore.
Depuis plusieurs mois, les relations entre le ministre démissionnaire, le chef d’état-major de la Défense, le général Christopher Musa, et le conseiller à la sécurité nationale, Nuhu Ribadu, étaient exécrables. Badaru Abubakar était accusé par l’armée de bloquer les fonds, de retarder les nominations clés et de privilégier des alliés politiques issus de son fief du Jigawa, au détriment de l’efficacité opérationnelle. Alors que les forces armées réclamaient des moyens supplémentaires pour faire face à la montée en puissance des groupes criminels et des bandits du Nord-Ouest, il opposait systématiquement des refus ou des tergiversations. L’explosion récente des enlèvements de masse a fini d’épuiser la patience des généraux, qui estimaient que le ministre avait perdu le contrôle et mettait en danger la sécurité nationale.
La situation est devenue insoutenable après l’enlèvement spectaculaire de plus de 300 élèves et enseignants de l’école St. Mary’s à Kontagora, dans l’État du Niger, le 21 novembre, l’une des plus grandes rafles depuis la tragédie de Chibok en 2014. En quelques jours, d’autres kidnappings ont frappé Zamfara, l’autoroute Abuja-Kaduna, des églises, des villages, des cérémonies de mariage. Le pays a alors réalisé que l’État n’arrivait plus à protéger même les régions proches de la capitale. Cette humiliation nationale a accéléré l’effondrement de la crédibilité du ministre, devenu pour beaucoup l’un des symboles de l’inaction et des dysfonctionnements structurels du gouvernement.
Sur la scène internationale, la pression s’est également intensifiée. Fin octobre, le président américain Donald Trump a replacé le Nigeria sur la liste des « pays particulièrement préoccupants » pour violations de la liberté religieuse et a menacé d’une intervention militaire limitée si les attaques contre les chrétiens se poursuivaient. Même si cette menace reste largement rhétorique, elle a mis Tinubu dans une position extrêmement délicate : il ne pouvait plus soutenir un ministre contesté, affaibli et incapable d’apaiser les critiques internes et externes. Dans ce contexte explosif, pousser Badaru Abubakar vers la sortie est apparu comme un moyen de relâcher la pression, de rassurer l’armée, de calmer l’opinion publique et de préserver la façade d’un pouvoir encore maître de la situation.
Cette démission en pleine tempête rappelle une période sombre : la dernière fois qu’un ministre de la Défense avait été écarté dans des circonstances similaires remonte à 2014, sous Goodluck Jonathan, quelques mois avant que Boko Haram ne prenne le contrôle d’un territoire équivalent à la superficie de la Belgique. De nombreux analystes craignent aujourd’hui un scénario comparable : multiplication des enlèvements, zones rurales totalement hors contrôle, fragmentation du Nord-Ouest, infiltration croissante des groupes islamistes, et perte de confiance généralisée envers les institutions.
Le geste de Bola Tinubu apparaît donc comme une tentative de reprendre la main dans une séquence où son autorité est fragilisée. Élu en 2023 sur la promesse de rétablir la sécurité en six mois, il se retrouve aujourd’hui confronté à un pays plus instable que jamais. En sacrifiant son ministre, il espère acheter du temps, restaurer un minimum de confiance et préparer l’arrivée d’une figure militaire plus solide, susceptible de reconquérir les régions abandonnées à la violence. Rien ne garantit cependant que ce calcul suffira. Dans les cercles diplomatiques comme dans l’armée, certains évoquent désormais la possibilité d’un « coup d’État technique » si la situation continue de se dégrader, ou même d’une implosion régionale si les autorités ne parviennent pas à contenir l’offensive des groupes armés.
la démission de Mohammed Badaru Abubakar n’est pas un incident administratif, mais le signe d’un État en crise profonde. Le Nigeria retient son souffle, conscient que les prochains mois seront décisifs pour éviter un basculement irréversible.


























