Pour la première fois depuis près de six décennies, les habitants de Mogadiscio se sont rendus aux urnes ce jeudi pour élire leurs représentants locaux au suffrage universel direct. Un événement inédit dans l’histoire récente de la Somalie, longtemps marquée par l’instabilité politique, l’insécurité chronique et un système de partage du pouvoir fondé sur les clans.
Dès les premières heures de la journée, des files d’électeurs se sont formées devant les bureaux de vote de la capitale. Femmes, hommes, jeunes et personnes âgées ont participé à ce scrutin hautement symbolique, perçu par beaucoup comme un acte de citoyenneté longtemps confisqué.
« Je suis très enthousiaste. C’est quelque chose que je n’ai jamais vu auparavant depuis ma naissance. Participer à une élection universelle comme celle-ci est une immense fierté, surtout pour nous les mères, qui représentons une part importante de la population », témoigne Farhiyo Mohamed, électrice à Mogadiscio.
Ces élections locales constituent le premier grand test pour la Commission nationale indépendante pour les élections et les circonscriptions électorales (NIEC), chargée de superviser l’ensemble du processus. Jusqu’à vingt partis politiques ont présenté des candidats, illustrant une diversification progressive de la scène politique somalienne.
Pour de nombreux responsables, le scrutin marque une rupture historique, « C’est un jour que le peuple somalien attendait depuis plus de 50 ans. Les habitants de Mogadiscio n’avaient jamais eu l’occasion d’exprimer directement leur choix. Il s’agit d’une véritable consécration du droit d’élire et d’être élu », s’est félicité Mahdi Guled, membre du Parlement.
Malgré l’enthousiasme populaire, le scrutin est loin de faire l’unanimité. Des voix critiques dénoncent une consultation jugée incomplète et insuffisamment inclusive. Pour certains analystes et militants de la société civile, cette élection aurait dû être précédée d’un large consensus politique et social.
« C’est une occasion manquée. Il aurait fallu consulter l’ensemble de la classe politique, la société civile et les habitants de Mogadiscio. Un recensement, une meilleure information de la population et un comité électoral consensuel étaient nécessaires. Rien de cela n’a été fait », estime l’activiste Abdulkadir Mohamud, qui parle d’une opportunité historique partiellement gâchée.
Autre limite majeure : le scrutin ne permet pas d’élire le maire de Mogadiscio, également gouverneur de la région de Banadir. Cette fonction demeure vacante en raison de l’absence de consensus sur le statut constitutionnel de la capitale, un dossier sensible qui continue de bloquer toute réforme institutionnelle complète.
La région de Banadir compte plus de 900 000 électeurs inscrits répartis dans 523 bureaux de vote, selon la commission électorale. Depuis 2016, plusieurs gouvernements ont promis le retour des élections au suffrage universel, mais l’insécurité persistante et les rivalités politiques ont constamment retardé leur mise en œuvre.
Dans un pays toujours confronté aux attaques du groupe islamiste al-Shabab, affilié à Al-Qaïda, la sécurité a été fortement renforcée autour des bureaux de vote. Pour de nombreux observateurs, la tenue même de ce scrutin à Mogadiscio constitue déjà une victoire symbolique.
Les analystes s’accordent à dire que ces élections représentent la tentative la plus concrète à ce jour pour éloigner la Somalie du système de partage du pouvoir fondé sur les clans, au profit d’une logique électorale plus moderne et inclusive. Si le chemin vers une démocratie pleinement fonctionnelle reste long et semé d’obstacles, le vote de Mogadiscio ouvre néanmoins une nouvelle page politique, porteuse d’espoirs mais aussi de défis considérables.



























