Trente-huit ans après avoir déposé sa candidature au GATT, l’ancêtre de l’OMC, sous Chadli Bendjedid en 1987, l’Algérie vient une nouvelle fois de repousser sine die la tenue de la 13ᵉ session de son Groupe de travail à l’Organisation mondiale du commerce, initialement prévue en 2025. Après douze rounds de négociations bilatérales et multilatérales, ce nouvel ajournement prolonge le record absolu de la candidature la plus longue de l’histoire de l’OMC, devant l’Iran et le Soudan. Mais ce report n’est pas un simple contretemps administratif : il confirme que l’Algérie demeure structurellement incapable de respecter les exigences minimales d’adhésion, tant sur le plan des subventions que sur celui de l’ouverture commerciale.
Officiellement, les autorités algériennes affirment que la diversification est en marche. En réalité, les hydrocarbures représentent en 2024 comme en 2004 entre 95 et 97 % des recettes d’exportation, soit 46 milliards de dollars en 2023 et 50 milliards estimés en 2025 grâce au rebond des prix. Tout le reste – engrais azotés, ammoniac, ciment et clinker, produits sidérurgiques, dattes, naphta… – pèse à peine 2 à 3 milliards de dollars par an. Autrement dit, sans pétrole et gaz, l’Algérie est un pays importateur net, et de très loin.
Les rares produits exportés hors hydrocarbures ne tiennent sur le marché mondial que grâce à un avantage massif : l’énergie quasi-gratuite. Ainsi, le groupe public Cevital (sidérurgie) et les cimenteries (GICA, Lafarge, etc.) bénéficient d’un prix du gaz industriel à 0,5-1 dollar le million de BTU, contre 8-12 dollars sur le marché international, tandis que le complexe d’engrais AOA (Sorfert + Asmidal) reçoit du gaz à moins de 1 dollar/MMBTU, alors que le même gaz se vend 12-15 dollars en Europe. Sans ces subventions énergétiques massives, ces produits ne seraient tout simplement pas compétitifs. Or, selon l’OMC, ce différentiel de prix constitue une subvention à l’exportation prohibée (article XVI du GATT et accord sur les subventions et mesures compensatoires), ce qui oblige l’Algérie, pour adhérer, à aligner ses prix domestiques sur les cours mondiaux ou à démontrer que ces tarifs bas ne constituent pas une aide – une mission irréalisable à court et moyen terme.
Cette incapacité à réformer se double d’un protectionnisme omniprésent et agressif. Depuis 2017, Alger a interdit l’importation de plus de 1 000 produits – véhicules, ciment, rond à béton, fruits, légumes, viandes, fromages, médicaments, pièces détachées, téléphones, électroménager… – remplacé certaines interdictions par des Droits Additionnels Provisoires de Sauvegarde (DAPS) pouvant atteindre 200 %, maintenu un système opaque de licences d’importation contingentées, imposé la règle 51/49 % puis le « droit de préemption » de l’État sur toute cession d’actions, et taxé à 60-80 % les produits européens dans le cadre de la renégociation unilatérale de l’accord d’association UE-Algérie. Toutes ces mesures sont considérées par l’OMC et l’UE comme des barrières non-tarifaires flagrantes, et l’Union européenne a d’ailleurs lancé deux procédures d’arbitrage contre l’Algérie en 2024 et 2025 pour violation de l’accord d’association, tandis que d’autres membres de l’OMC – États-Unis, Turquie, etc. – ont également exprimé leur frustration.
Adhérer à l’OMC obligerait l’Algérie à baisser progressivement les droits de douane à des niveaux « consolidés » très bas (souvent < 15 %), à supprimer ou justifier toutes les subventions considérées comme « spécifiques », à ouvrir les marchés publics et les services, et à accepter le règlement des différends contraignant de l’OMC. Concrètement, sans protectionnisme, la majorité des usines locales – textile, électroménager, agroalimentaire, mécanique – fermeraient rapidement face aux importations turques, chinoises et européennes. Sans subventions énergétiques, les exportations hors hydrocarbures s’effondreraient instantanément, et avec une ouverture totale, la facture des importations exploserait, faisant fondre les réserves de change, déjà passées de 200 milliards de dollars en 2014 à environ 60 milliards fin 2025.
Les autorités répètent que l’adhésion se fera « aux conditions de l’Algérie » et que le pays ne bradera pas sa souveraineté économique. Traduction : tant que l’économie nationale n’est ni diversifiée ni compétitive, l’adhésion est impossible. En filigrane, c’est un aveu implicite : trente ans après le lancement des plans de diversification, rien n’a fondamentalement changé.
Demain, la donne risque de se durcir. Tant que le baril reste au-dessus de 70-80 dollars, le système tient. Mais la transition énergétique mondiale progresse : l’Europe vise -55 % d’émissions en 2030 et la neutralité carbone en 2050. Les recettes gazières algériennes vont mécaniquement baisser dans les quinze prochaines années. Lorsque la rente diminuera durablement, l’Algérie n’aura plus le choix : soit elle aura réussi à bâtir une économie réelle et compétitive (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui), soit elle devra s’ouvrir de force, dans la douleur et sous contrainte extérieure.
L’Algérie n’est pas « contre » l’OMC par idéologie. Elle est simplement incapable, dans l’état actuel de son économie, d’y entrer sans risquer un effondrement industriel et social massif. Le dossier OMC n’est donc pas seulement un dossier commercial : il est le miroir cruel des échecs successifs de diversification depuis l’indépendance. Tant que ce miroir restera brisé, l’Algérie continuera de frapper à la porte…


























