Dans les sables brûlants du Néguev, la prison de Ketziot incarne un front invisible de la tragédie à Gaza. Une trentaine de Français, enlevés de la flottille humanitaire Global Sumud interceptée par Israël il y a deux jours, croupissent dans des cellules surpeuplées, privés de tout contact avec l’extérieur. Leurs avocats, vent debout, dénoncent une détention arbitraire et des traitements dégradants.
Tout a basculé dans la nuit du 1er au 2 octobre. La flottille Global Sumud, une armada de 45 bateaux affrétés depuis l’Espagne en septembre, se dirigeait vers Gaza avec une cargaison vitale : 500 tonnes de vivres, médicaments et matériel médical. À son bord, 443 militants venus du monde entier, dont l’eurodéputée Rima Hassan et des parlementaires italiens, unis pour briser un blocus israélien qualifié de « crime contre l’humanité » par l’ONU. Objectif affiché, soulager une population civile assiégée, où la famine touche 90 % des habitants selon les derniers rapports onusiens.
Mais au large des côtes, les commandos de la marine israélienne ont surgi des ténèbres. Hélicoptères grondants, zodiacs armés, l’abordage a été brutal. « Ils nous ont traités comme des terroristes, nous aspergeant de gaz lacrymogène avant de nous menotter », témoigne un militant anonyme via un enregistrement clandestin diffusé sur les réseaux. Les bateaux ont été déroutés vers Ashdod, avant que les captifs ne soient entassés dans des bus climatisés pour le désert. Israël justifie l’opération par « la menace sécuritaire » du Hamas, mais des experts en droit maritime, comme ceux de l’ONG Les Surligneurs, y voient une violation flagrante des conventions internationales : « Intercepter en eaux libres sans mandat ? C’est du piratage d’État. »
À Ketziot, forteresse de béton et de mirages, les conditions tournent au cauchemar. Conçue pour les « sécuritaires » palestiniens, cette geôle de haute sécurité abrite désormais des humanitaires accusés de « tentative d’infiltration ». Isolement 23 heures sur 24, rations minimales, absence d’hygiène… Les rapports d’Amnesty International, déjà accablants sur cet établissement, s’alourdissent d’un nouveau chapitre. « Mes clients dorment directement sur le sol, sans eau potable, interrogés sans avocat. C’est une torture psychologique pure », s’insurge Me Anouck Michelin, l’une des quatre avocates françaises en première ligne.
Entourée de Me Raphaël Kempf, Me Romain Ruiz et Me Chirinne Ardakani, elle prépare un recours en urgence devant la Cour européenne des droits de l’homme. « Israël n’a aucun titre légal pour détenir ces Français. La flottille était pacifique, légale, humanitaire », martèle Me Kempf lors d’une conférence de presse parisienne. Leur plainte vise non seulement la détention arbitraire, mais aussi le « détournement de navire », un chef d’accusation rare qui pourrait ébranler la jurisprudence israélienne post-Mavi Marmara (2010). Et l’inaction française ? « Le Quai d’Orsay nous laisse dans le vide. Sans nouvelles concrètes, nous sommes seuls face à un État qui bafoue le droit. »
Le ministère des Affaires étrangères, contacté, se veut rassurant : « La protection consulaire est active depuis la nuit de l’interception. Le consul général et l’ambassadeur ont visité les familles et les détenus », précise Pascal Confavreux, porte-parole. Pourtant, les avocats comptent 35 ressortissants français – contre 36 annoncés officiellement – et les « visites » se limitent à des échanges filtrés. À Copenhague, jeudi, Emmanuel Macron a haussé le ton : « Israël doit respecter le droit international et garantir la sécurité de nos compatriotes. » Des mots forts, mais des actes ? La France tarde à rejoindre la plainte sud-africaine devant la Cour internationale de justice (CIJ), qui alerte sur un « risque imminent de génocide » à Gaza – un terme que Tel-Aviv balaie d’un revers de main.
Du côté turc, Ankara fulmine : « Israël est un État terroriste », tonne le président Erdogan, menaçant de nouvelles sanctions. À Gaza, l’aide bloquée s’ajoute à une crise humanitaire « catastrophique » : deux millions de personnes au bord du gouffre, avec des hôpitaux à l’agonie et des enfants mourant de malnutrition. Les avocats français ne mâchent pas leurs mots : « En ne défendant pas ses citoyens, la France se rend complice des violations israéliennes », accuse Me Ruiz. Un appel à la CIJ pourrait inverser la donne, transformant cette interception en levier judiciaire mondial.
Malgré l’échec apparent, Global Sumud a percé le mur du silence. Les images d’abordage, récupérées par des drones militants, tournent en boucle sur X et TikTok, ravivant le débat : blocus légitime ou punition collective ? Israël, sous pression, promet des « procédures rapides » pour les libérations – mais l’histoire des flottilles passées laisse sceptique. Pour les Français de Ketziot, chaque heure compte. « Nous ne sommes pas des criminels, nous sommes des sauveurs », murmure un détenu dans un SMS exfiltré.
Tandis que le désert avale les cris, une question hante Paris : la France choisira-t-elle la realpolitik ou la justice ? À Gaza, on attend, affamé, la réponse.