L’arrestation de Yifat Tomer-Yerushalmi, ancienne procureure générale de l’armée israélienne, plonge le système judiciaire et militaire de l’État hébreu dans une crise d’une rare intensité.
Soupçonnée d’avoir autorisé la diffusion d’une vidéo montrant le viol et la brutalisation d’un détenu palestinien par des soldats israéliens dans la base militaire de Sde Teiman, la magistrate se retrouve désormais au cœur d’un scandale d’État qui secoue le pays jusque dans ses fondations.
Le 5 juillet 2024, une caméra de surveillance de la prison militaire de Sde Teiman, dans le désert du Néguev, enregistre une scène d’une violence inouïe.
Un détenu palestinien, nu et menotté, est encerclé par plusieurs soldats israéliens. Les images montrent des coups portés avec brutalité, puis une agression sexuelle d’une extrême cruauté.
Longtemps gardée secrète, la vidéo est diffusée un mois plus tard, en août 2024, par la Chaîne 12.La révélation provoque une onde de choc en Israël comme à l’étranger, soulevant des questions sur les pratiques de détention des Palestiniens et la culture d’impunité qui règne dans certaines unités militaires.
À l’époque, Yifat Tomer-Yerushalmi, alors générale de division et plus haute magistrate militaire, admet avoir validé la diffusion de la vidéo, qu’elle jugeait essentielle pour “révéler la vérité” et “protéger la crédibilité de l’armée face aux accusations d’abus”.Mais son geste est perçu par une partie du gouvernement israélien comme une trahison.
Sous la pression de l’extrême droite et de plusieurs proches du Premier ministre Benjamin Netanyahu, la magistrate démissionne le 31 octobre 2025.Le lendemain, elle disparaît mystérieusement. Sa voiture est retrouvée sur une plage de Tel-Aviv, un mot laissé à sa famille laissant craindre une tentative de suicide.
Des recherches massives, appuyées par des drones, sont lancées.Elle sera finalement retrouvée vivante sur une plage d’Herzliya, avant d’être placée en garde à vue, puis incarcérée pour fraude, abus de confiance et entrave à la justice.Alors que les faits de torture et de viol filmés à Sde Teiman suscitent l’indignation internationale, le gouvernement israélien choisit de concentrer ses efforts non pas sur les auteurs des violences, mais sur celle qui a osé dévoiler la vérité.
Le ministre de la Défense, Israël Katz, a confirmé l’ouverture d’une enquête criminelle… non sur les sévices infligés au détenu palestinien, mais sur la fuite de la vidéo.
Dans le même temps, Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité nationale, a ordonné que Tomer-Yerushalmi soit “étroitement surveillée en détention”, insistant sur “la nécessité de protéger l’intégrité du système”.
Cinq soldats ont été identifiés et poursuivis en février 2025 pour “agressions aggravées ayant entraîné des blessures à un détenu”.
Selon des sources médicales citées par l’Associated Press, la victime palestinienne, transférée dans un hôpital civil, souffrait de traumatismes abdominaux, de côtes fracturées et d’une perforation du rectum. Elle aurait ensuite été renvoyée à Sde Teiman, avant d’être libérée dans le cadre d’un échange d’otages en octobre dernier.
Le scandale dépasse le cadre judiciaire.Il révèle la dérive morale d’un État dont les institutions semblent plus soucieuses de préserver leur image que de rendre justice.
“Il existe des actions qui ne doivent jamais être entreprises, même contre les détenus les plus vils”, écrivait Tomer-Yerushalmi dans sa lettre de démission.
Son arrestation est intervenue alors que le gouvernement israélien commémorait le 30e anniversaire de l’assassinat d’Yitzhak Rabin, symbole d’un pays jadis fracturé par la haine interne.
Pour beaucoup, la chute de Yifat Tomer-Yerushalmi marque un nouveau seuil dans la dégradation du débat public israélien.
“C’est très triste de voir comment les divisions internes peuvent conduire à une tragédie personnelle”, a réagi Yohanan Plesner, président du Israel Democracy Institute.
“Ce qui devait être une affaire de justice est devenu une affaire politique. Israël punit la vérité au lieu de punir la violence.”
L’affaire Sde Teiman restera comme l’un des épisodes les plus sombres de la décennie.Une vidéo qui aurait dû susciter la honte et la réforme a fini par précipiter la chute de celle qui avait osé la rendre publique.
Dans un pays où les blessures de la guerre et les divisions politiques s’approfondissent, le sort de Tomer-Yerushalmi résonne comme un avertissement : en Israël, dévoiler la vérité peut désormais vous mener en prison.



























