Longtemps perçu comme un simple marchand de chameaux issu des sables du Darfour, Mohamed Hamdan Dagalo, alias Hemedti, s’est hissé en deux décennies au rang des figures les plus puissantes et les plus craintes du Soudan. À la tête des Forces de soutien rapide (FSR), cette milice paramilitaire métamorphosée en acteur politico-économique incontournable, il domine aujourd’hui près de la moitié du territoire national, tissant un empire hybride de violence, d’or et d’alliances internationales.
Né vers 1974 au sein d’une famille de la tribu Mahariya, branche de la communauté Rizeigat, Hemedti grandit entre le Tchad et le Darfour, bercé par les caravanes transsahariennes. Fils d’éleveurs nomades, il abandonne précocement l’école pour plonger dans le commerce des chameaux, reliant la Libye, l’Égypte et le Soudan. Ce parcours d’autodidacte, forgé dans l’ambition et la débrouillardise des routes désertiques, deviendra le socle de son ascension fulgurante, transformant un humble trafiquant en stratège impitoyable.
Au début des années 2000, la guerre civile au Darfour catapulte Hemedti au premier plan. Sous le régime d’Omar el-Béchir, le pouvoir central arme les Janjawid, ces milices arabes chargées de mater la rébellion des groupes non arabes – Fur, Masalit et Zaghawa. Hemedti intègre leurs rangs et s’y illustre par une brutalité sans faille. Son unité est impliquée dans le massacre d’Adwa en 2004, qui coûte la vie à plus de cent civils, selon un rapport des Casques bleus de l’Union africaine.
Échappant aux poursuites de la Cour pénale internationale (CPI) – qui inculpe Béchir et d’autres hauts responsables –, Hemedti exploite le chaos pour consolider son emprise locale. Il tisse un réseau de loyautés tribales, posant les bases d’un pouvoir parallèle ancré dans la peur et la fidélité.
Dès 2010, Hemedti s’empare de la mine d’or de Jebel Amir, l’une des plus riches du Darfour, et fonde Al-Gunaid, qui s’impose vite comme le premier exportateur d’or soudanais. Ses combattants se muent en armée privée structurée ; en 2013, les FSR obtiennent une reconnaissance officielle, rattachées à la présidence.
Officiellement destinées à combattre les rebelles et à sécuriser les frontières, les FSR s’enrichissent via le trafic, l’extorsion et les contrats de sécurité. Sous Hemedti, elles incarnent un hybride redoutable : un outil économique et militaire où guerre rime avec profit.
La guerre au Yémen, en 2015, accélère la métamorphose. Hemedti déploie ses troupes aux côtés de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis (EAU), offrant des soldes alléchantes – souvent supérieures à celles de l’armée régulière. Ce partenariat avec Riyad et Abou Dhabi assure un financement pérenne et une légitimité internationale.
Parallèlement, il noue des liens avec le groupe russe Wagner (devenu Africa Corps), échangeant or contre-expertise militaire. Des enquêtes accusent les EAU d’avoir érigé au Tchad des bases logistiques pour approvisionner les FSR en armes et drones – allégations fermement démenties par Abou Dhabi.
En 2019, la révolution populaire renverse Béchir ; Hemedti orchestre le coup d’État militaire. Brièvement vu comme un allié des manifestants, il ordonne bientôt la répression du sit-in de Khartoum : des centaines de morts, des viols systématiques, documentés par Human Rights Watch.
La cohabitation avec le général Abdel Fattah al-Burhan, chef de l’armée, dégénère en rivalité ouverte. En avril 2023, les affrontements éclatent à Khartoum et au Darfour, plongeant le Soudan dans l’abîme. Les FSR s’emparent de villes clés comme el-Fasher ; des milliers de civils, surtout Masalit, sont massacrés. L’ONU dénombre au moins 15 000 morts depuis le début du conflit.
Mohamed Hamdan Dagalo, dit Hemedti, est principalement soutenu par les Émirats arabes unis (EAU), qui lui fournissent armes, drones et financements en échange d’or extrait des mines du Darfour via sa société Al-Gunaid ; ce partenariat, renforcé depuis la guerre au Yémen en 2015, s’appuie sur des bases logistiques au Tchad (sous Mahamat Déby) et en Libye (contrôle de Khalifa Haftar). Le Tchad offre un soutien ethnique et stratégique, tandis que la Russie (via l’ex-Wagner, devenu Africa Corps) a fourni formation et armes jusqu’en 2024. À l’intérieur, l’alliance Tasis, proclamée en 2025 à Nairobi et Nyala, regroupe les FSR, des rebelles du SPLM-Nord et des acteurs civils pour légitimer un État laïque et décentralisé à l’ouest. Malgré les sanctions américaines pour génocide et les dénonciations de l’ONU, ces appuis internationaux et locaux permettent à Hemedti de contrôler la moitié du Soudan, alimentant un empire de violence, d’or et de pouvoir tribal.
Les pillages alimentent les « marchés Dagalo », un commerce informel du Darfour au Tchad, dénoncé par les humanitaires comme une mainmise économique sur les territoires conquis.
Alors que le Soudan frôle la désintégration, Hemedti vise plus haut : président d’un État sécessionniste à l’ouest du Nil, ou oligarque régnant sur un conglomérat de mines, de mercenaires et d’alliances. Son empire, édifié sur le sang, l’or et les soutiens étrangers, interroge : jusqu’à quand le monde tolérera-t-il ce pouvoir sans loi ?



























