Dimanche 6 février, le président tunisien, Kais Saied, a annoncé la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature, défini comme « une chose du passé ».
Saied a également accusé les membres du conseil d’avoir accepté des « milliards » de pots-de-vin et de retarder des enquêtes politiquement sensibles, notamment le meurtre de certains militants de gauche en 2013. La décision de la présidence intervient à l’occasion du neuvième anniversaire de l’assassinat de l’homme politique laïc, Chokri Belaid. Pour commémorer cet anniversaire, divers partis et organisations, dont le puissant syndicat UGTT, ont organisé des manifestations pour faire pression sur la justice afin que les auteurs de ce meurtre soient traduits en justice. Dans ce contexte, les partisans de Saied protesteront également lors d’une deuxième manifestation contre le Conseil supérieur de la magistrature. Cet organe est né en 2016, avec la nouvelle Constitution tunisienne, et est chargé de garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire,
Les mesures contre le Conseil supérieur de la magistrature imposées par la présidence Saied ont commencé par la révocation, en janvier, de tous les privilèges financiers accordés à ses membres, accusés de corruption. « Dans ce conseil, les postes et les nominations sont vendus équitablement. Leur place n’est pas là où ils sont assis maintenant, mais là où sont les accusés », a déclaré le président tunisien dans un discours au ministère de l’Intérieur. « Vous ne pouvez pas imaginer l’argent que certains juges ont pu recevoir, des milliards et des milliards », a-t-il ajouté. Cependant, compte tenu de la centralisation progressive des pouvoirs entre les mains du président tunisien, sa dernière décision fait craindre pour l’indépendance de la justice dans le pays.
« Je dis aux Tunisiens de manifester librement. C’est votre et notre droit de dissoudre le Conseil », a déclaré plus tard Saied. Malgré cela, le gouvernement a maintenu l’interdiction de manifester après la tension enregistrée le 14 janvier, face à une mobilisation qui avait visé le président. Les Tunisiens sont descendus dans la rue pour s’opposer aux mesures « extraordinaires » adoptées par Saied, à partir du 25 juillet 2021, et ont demandé le retour à une voie de transition démocratique, comme celle entreprise après la Révolution de 2011. Les manifestants ont dénoncé une violation des droits et des libertés et a appelé au respect des droits de l’homme et de la Constitution. La police a utilisé des canons à eau pour disperser la foule et des affrontements ont eu lieu entre les forces de l’ordre et les manifestants. L’opposition au président a accusé le gouvernement de la mort d’un civil qui manifestait.
En juillet 2021, après des mois de crises politiques, le chef de l’État dissout le gouvernement, suspend le parlement et lance un vaste nettoyage interne de l’appareil d’État. En septembre 2021, il a encore renforcé son emprise politique en concentrant sur lui-même les pouvoirs exécutifs, annonçant qu’il gouvernerait par décret pendant une période de mesures exceptionnelles et promettant, à l’avenir, un dialogue pour promouvoir de nouveaux changements. Par la suite, le 14 décembre, Saied a finalement déclaré que le Parlement resterait suspendu jusqu’à de nouvelles élections, prévues le 17 décembre 2022. Malgré les diverses critiques adressées au chef de l’Etat, ce dernier semble toujours bénéficier d’un consensus, égal à environ 72%, selon les sondages.
Pendant ce temps, la force politique la plus représentée au parlement tunisien, le parti islamiste modéré Ennahda, a dénoncé les démarches de Saied et la suspension du processus législatif normal. L’un des derniers épisodes qui risquait de faire monter encore les tensions concerne l’arrestation de Noureddine Bhair, également membre d’Ennahda, accusé de favoriser les activités de terroristes présumés en leur fournissant des passeports et des documents illégaux. Le parti a demandé à la population de descendre dans la rue pour protester contre ce qu’il continue d’appeler une dictature de l’actuel président.