Un vent de colère souffle sur l’Espagne. Samedi, des dizaines de milliers de citoyens ont manifesté dans les grandes villes du pays pour protester contre la flambée des loyers, la rareté du logement social et l’explosion des locations touristiques qui étouffent les résidents.
À Madrid, les autorités ont recensé environ 15 000 manifestants, mais les organisateurs avancent le chiffre impressionnant de 150 000 participants. À Barcelone, même constat : la mairie évoque 12 000 personnes, les organisateurs en revendiquent plus de 100 000. Partout, les slogans sont clairs : « Le logement est un droit, pas un luxe », « Sortez Airbnb de nos quartiers », ou encore « Je ne pars pas, vampire », en référence aux spéculateurs accusés de déloger les habitants.
La crise du logement en Espagne n’est pas nouvelle, mais elle a atteint un niveau critique. Le pays, historiquement attaché à l’accession à la propriété, dispose de moins de 2 % de logements sociaux en location – un chiffre très en dessous de la moyenne européenne. À titre de comparaison, la France en propose 14 %, le Royaume-Uni 16 % et les Pays-Bas 34 %, selon les données de l’OCDE.
En parallèle, les prix des loyers ont quasiment doublé en une décennie. Le prix moyen du mètre carré est passé de 7,2 euros en 2014 à 13 euros en 2024, une hausse fulgurante, particulièrement ressentie dans les grandes villes comme Barcelone et Madrid.
Cette explosion des coûts se heurte à des salaires stagnants et à un taux de chômage élevé, notamment chez les jeunes. Résultat : une génération entière peine à s’émanciper.
Mari Sánchez, avocate madrilène de 26 ans, témoigne : « Je vis en colocation avec quatre personnes, et 40 % de mon salaire passe dans le loyer. Je ne peux rien mettre de côté, ni acheter une voiture, encore moins un appartement. C’est frustrant et c’est notre quotidien à tous. »
Le phénomène des locations de courte durée, en particulier via des plateformes comme Airbnb, est pointé du doigt. Dans certaines zones, ces logements ont largement dépassé le nombre de résidences principales disponibles à la location, poussant les habitants vers la périphérie.
Face à la pression populaire, la mairie de Barcelone a décidé de supprimer progressivement 10 000 permis de location touristique d’ici 2028, une décision saluée par les manifestants, mais jugée insuffisante par les experts.
La ministre du Logement, Isabel Rodríguez, a tenté de rassurer les manifestants en affirmant sur X (ex-Twitter) :« Je partage la revendication des citoyens : le logement doit être un lieu de vie, pas un objet de spéculation. »
Le gouvernement a mis en place un plafonnement des loyers dans certaines zones tendues, comme Barcelone, où une légère baisse a été observée. Mais ces mesures restent timides, et leur portée limitée géographiquement.
Pour Ignasi Martí, professeur à l’école de commerce Esade et directeur de l’Observatoire du logement digne, la mobilisation est appelée à se poursuivre.
« Ce n’est ni la première ni la dernière manifestation. La crise est profonde, enracinée, et les tensions sociales ne disparaîtront pas sans un changement structurel. »
Alors que l’Espagne entre dans une phase critique de son calendrier électoral, la crise du logement pourrait bien s’inviter au cœur du débat national. Pour l’heure, la rue a parlé — et sa voix ne semble pas prête de s’éteindre.