Benghazi, 9 juillet 2025 — Une rare scène de tension diplomatique s’est jouée ce mardi à l’aéroport de Benina, à Benghazi. Quatre hauts responsables européens — le commissaire européen à la Migration, Magnus Brunner, ainsi que les ministres de l’Intérieur italien Matteo Piantedosi, maltais Byron Camilleri, et grec Thanos Plevris — ont été déclarés persona non grata par les autorités de l’Est libyen et sommés de quitter immédiatement le territoire.
L’ordre d’expulsion a été émis par Mohamad Hammad, Premier ministre du gouvernement parallèle de l’Est, désigné par le Parlement de Tobrouk. Dans un communiqué, ce dernier accuse la délégation européenne de « violation flagrante des normes diplomatiques et des conventions internationales », évoquant un manque de respect à la souveraineté nationale libyenne. Les Européens sont notamment reprochés de ne pas avoir respecté les protocoles exigés pour les visites diplomatiques sur le territoire contrôlé par le maréchal Khalifa Haftar.
Cette expulsion inattendue intervient alors que la délégation venait de quitter Tripoli, où elle avait rencontré le Premier ministre Abdulhamid Al-Dbeibah et son ministre de l’Intérieur. Ce dernier avait annoncé le lancement imminent d’une campagne nationale de lutte contre la traite des êtres humains, avec l’appui de plusieurs pays européens.
Selon des sources diplomatiques européennes, la délégation devait ensuite se rendre à Benghazi pour rencontrer le maréchal Haftar. Toutefois, ce dernier aurait exigé que les responsables européens rencontrent également le chef du gouvernement parallèle de l’Est. Le refus des Européens aurait déclenché leur expulsion immédiate. Le ministre grec des Migrations a qualifié l’incident d’ »événement sans précédent », interprété par Athènes comme une réponse hostile de Haftar aux pressions européennes visant à limiter les flux migratoires vers l’Europe.
L’incident met en lumière les profondes divisions politiques en Libye, toujours partagée entre deux autorités rivales depuis l’effondrement du régime de Kadhafi en 2011. Tandis que l’Ouest est gouverné par le cabinet de Dbeibah, reconnu par l’ONU, l’Est reste sous l’autorité de Khalifa Haftar et du Parlement de Tobrouk, qui ne reconnaissent plus la légitimité du gouvernement de Tripoli.
La tentative européenne de dialoguer avec les deux blocs semble avoir échoué à Benghazi, révélant l’extrême sensibilité du sujet migratoire dans le jeu politique libyen. L’UE se retrouve ainsi confrontée aux limites de sa diplomatie dans un pays fragmenté, où chaque camp revendique une légitimité exclusive.
L’incident intervient alors que plusieurs ONG, dont Amnesty International, dénoncent régulièrement la coopération migratoire de l’Union européenne avec la Libye, la qualifiant de « dépourvue de moralité ». L’ONG rappelle que les migrants interceptés en mer sont souvent renvoyés vers des centres de détention en Libye, où ils subissent de graves violations des droits humains, et appelle l’UE à réévaluer en urgence son partenariat avec les autorités libyennes et les milices locales.