Juba – Le président sud-soudanais Salva Kiir a brusquement limogé le chef de l’armée, le général Dau Aturjong, à peine trois mois après sa nomination, réinstallant à sa place Paul Ngang Majok, son prédécesseur écarté en juillet dernier. Ce changement soudain à la tête des Forces de défense du peuple du Soudan du Sud (SSPDF) intervient dans un contexte de tensions politiques accrues et de procès explosif visant le premier vice-président et ancien chef rebelle Riek Machar, inculpé pour crimes contre l’humanité.
L’annonce, diffusée par la télévision publique SSBC, n’a été accompagnée d’aucune explication officielle. Le général Aturjong a été réaffecté au poste de conseiller technique au ministère de la Défense, un geste perçu comme une mise à l’écart déguisée.
Ce nouvel épisode illustre la fragilité chronique du pouvoir au Soudan du Sud, où les remaniements militaires et gouvernementaux se succèdent à un rythme effréné. En l’espace de quelques mois, Salva Kiir, au pouvoir depuis l’indépendance du pays en 2011, a modifié plusieurs portefeuilles stratégiques, notamment aux Transports, à la Faune, et aux Affaires de la Communauté de l’Afrique de l’Est.
Le président a ainsi nommé Pieng Deng Kuol, ancien chef de la police et ex-ambassadeur auprès de l’Union africaine, en remplacement de Beny Gideon Mabor, limogé seulement un jour après sa prise de fonctions. Ces ajustements en série témoignent d’un désarroi institutionnel profond et d’une lutte féroce pour le contrôle du pouvoir dans les cercles proches du régime.
L’arrestation et le procès de Riek Machar, figure historique de la rébellion, constituent un autre foyer d’instabilité. Accusé de meurtre, trahison et crimes contre l’humanité, Machar rejette les charges et invoque son immunité en tant que vice-président. Son parti, le Mouvement populaire pour la liberté du Soudan – Opposition (MPLS-IO), a exhorté ses partisans à « utiliser tous les moyens disponibles » pour s’opposer au gouvernement, faisant craindre un retour aux affrontements armés entre factions rivales.
Cette montée des tensions survient alors que le pays peine encore à appliquer l’accord de paix de 2018, dont plusieurs dispositions clés, notamment la réintégration des forces rebelles et la réforme de l’armée, restent inachevées.
En septembre 2024, Salva Kiir a promulgué un amendement constitutionnel prolongeant de deux ans supplémentaires la période de transition, initialement prévue pour s’achever en 2023. Ce report a été largement critiqué par la communauté internationale, qui y voit une manœuvre politique visant à repousser des élections démocratiques sans cesse ajournées.
À 74 ans, Salva Kiir, figure charismatique mais controversée, semble vouloir consolider son pouvoir en verrouillant les institutions militaires et civiles. Mais cette stratégie d’équilibriste pourrait se retourner contre lui : les luttes internes au sein du parti au pouvoir, les dissensions ethniques, et les rivalités historiques avec Riek Machar maintiennent le pays dans une spirale de méfiance et de fragmentation.
Pour beaucoup d’observateurs, ce remaniement inattendu n’est qu’un symptôme supplémentaire d’un régime en crise, où le militaire et le politique s’entrelacent dans un équilibre aussi précaire que dangereux.