Genève, 21 novembre 2025 – Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), principale organisation humanitaire neutre et indépendante active dans les zones de conflit, a annoncé ce jeudi une cure d’austérité sans précédent : son budget 2026 sera réduit de 17 %, passant de 2,2 milliards à 1,8 milliard de francs suisses (environ 1,92 milliard d’euros). Cette décision s’accompagne de la suppression de près de 2 900 postes à travers le monde, soit environ un tiers de ses effectifs totaux, qui comptaient un peu plus de 20 000 collaborateurs (expatriés et personnel local compris) fin 2024.
Cette restructuration massive intervient alors que le nombre de conflits armés atteint des niveaux records depuis la Seconde Guerre mondiale et que les besoins humanitaires explosent : plus de 120 millions de personnes déplacées dans le monde, des famines déclarées ou imminentes au Soudan du Sud, en Somalie ou à Gaza, des bombardements incessants en Ukraine, en Syrie, au Yémen ou en République démocratique du Congo. Paradoxalement, c’est au moment où le CICR est le plus sollicité qu’il doit réduire la voilure.
« Nous sommes confrontés à une baisse significative et durable des contributions volontaires de nombreux gouvernements donateurs traditionnels », a expliqué la présidente du CICR, Mirjana Spoljaric, lors d’une conférence de presse au siège genevois. Parmi les raisons invoquées : les priorités budgétaires nationales tournées vers la défense (les dépenses militaires mondiales ont dépassé 2 400 milliards de dollars en 2024 selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm), les conséquences économiques durables de la pandémie de Covid-19, l’inflation, ainsi que la multiplication des crises internes (migrations, catastrophes climatiques) qui absorbent les budgets d’aide publique au développement.
Les principaux donateurs du CICR – États-Unis, Union européenne et ses États membres, Suisse, Royaume-Uni, Allemagne, Suède, Norvège, Canada – ont globalement réduit ou gelé leurs contributions en termes réels depuis 2023. Certains pays, confrontés à des changements politiques ou à des contraintes budgétaires, ont même diminué de manière significative leurs versements. À cela s’ajoute une érosion du soutien du secteur privé et des dons individuels, en partie liée à la « fatigue compassionnelle » du public face à l’accumulation des crises.
L’Assemblée du CICR – organe suprême composé exclusivement de 15 à 25 membres suisses cooptés – a validé ce plan de rigueur à une large majorité. Les 2 900 suppressions de postes seront réalisées principalement par des départs volontaires, le non-renouvellement de contrats à durée déterminée et le non-remplacement de postes vacants. Le CICR a promis qu’aucun licenciement sec n’aurait lieu et que des mesures d’accompagnement social seraient mises en place, y compris pour le personnel local dans des pays où le chômage est déjà dramatique.
Les délégations les plus touchées seront celles opérant dans des contextes de crise prolongée mais où d’autres acteurs humanitaires (ONG, agences onusiennes, Croix-Rouge/Croissant-Rouge nationaux) peuvent partiellement prendre le relais. À l’inverse, le CICR affirme vouloir préserver au maximum ses opérations dans les zones les plus inaccessibles et dangereuses : prisons en Syrie ou au Yémen, zones tenues par des groupes armés non étatiques, régions où il est pratiquement la seule organisation présente.
« Le CICR reste déterminé à intervenir en première ligne des conflits, là où peu d’autres peuvent ou veulent opérer », a insisté Mirjana Spoljaric. « Mais la réalité financière nous impose des choix déchirants. Nous devons concentrer nos ressources sur ce qui est vital et déléguer ou arrêter ce qui est moins critique. »
Au-delà des mesures internes, la présidente du CICR a profité de cette annonce pour adresser un message politique sans détour : « Pendant que les budgets militaires augmentent presque partout, les financements humanitaires stagnent ou régressent. C’est un choix politique aux conséquences humaines dramatiques. Investir dans la prévention des conflits et dans l’aide humanitaire, c’est éviter des coûts humains et financiers bien plus élevés demain. »
Ce cri d’alarme fait écho aux difficultés rencontrées par d’autres grandes organisations. L’UNRWA (agence onusienne pour les réfugiés palestiniens) a déjà supprimé des milliers de postes en 2024-2025 après la suspension des financements de plusieurs pays. Le Programme alimentaire mondial (PAM) a dû réduire de moitié ses rations dans plusieurs camps de réfugiés. OCHA, le bureau de coordination humanitaire de l’ONU, estime que seulement 38 % des besoins humanitaires mondiaux étaient financés en 2025 – un record historiquement bas.


























