LE CAIRE, 19 décembre 2025 – À l’issue d’une rencontre bilatérale de haut niveau tenue dans la capitale égyptienne, les ministres des Affaires étrangères égyptien, Badr Abdelatty, et algérien, Ahmed Attaf, ont affiché une convergence diplomatique appuyée en réaffirmant leur soutien à une résolution exclusivement « libyo-libyenne » de la crise qui déchire la Libye depuis plus de quatorze ans. Cette position commune, formulée dans un contexte de coordination régionale renforcée, se veut l’expression d’une volonté partagée de bâtir un front arabe et maghrébin cohérent, fondé sur le respect de la souveraineté libyenne et le rejet de toute ingérence étrangère.
Au cœur des échanges, les deux chefs de la diplomatie ont insisté sur la nécessité d’activer sans délai les mécanismes de concertation régionaux, notamment en perspective de prochaines réunions tripartites associant la Tunisie. Ils ont appelé avec insistance à l’organisation rapide d’élections présidentielles et législatives simultanées, crédibles, transparentes et inclusives. Ces scrutins sont présentés comme la clé de sortie de l’impasse actuelle : ils permettraient de réunifier des institutions fracturées entre l’Est et l’Ouest, de restaurer une souveraineté nationale effective et de recréer un minimum de confiance entre des factions rivales profondément méfiantes. En théorie, un tel processus ouvrirait la voie à l’émergence d’un État libyen unifié, légitime et capable de relancer durablement la paix et le développement économique.
Les ministres Abdelatty et Attaf ont également réaffirmé une exigence claire : le retrait immédiat et complet de toutes les forces étrangères présentes en Libye, qu’il s’agisse d’armées régulières, de combattants irréguliers ou de mercenaires, y compris ceux affiliés à des entités privées telles que le groupe Wagner. Cette demande s’inscrit dans le strict respect des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, qui imposent depuis des années un embargo sur les armes et l’évacuation des intervenants extérieurs. Pourtant, en décembre 2025, cette injonction demeure largement théorique : aucun retrait significatif n’a été constaté, tandis que les influences étrangères continuent de peser lourdement sur le terrain, alimentant les tensions et sabotant toute avancée politique.
Capendant Derrière la façade diplomatique impeccablement policée où l’Égypte et l’Algérie se posent volontiers en « voisins vertueux », ardents défenseurs d’une souveraineté libyenne intacte et d’une solution purement « libyo-libyenne » –, la réalité géopolitique se révèle bien plus complexe, nuancée et, pour certains aspects, préoccupante.
Plusieurs puissances étrangères poursuivent en effet un jeu d’influence assumé et asymétrique, prolongeant artificiellement le chaos pour servir leurs intérêts stratégiques et économiques :
À l’Est, autour de Khalifa Haftar et des institutions de Benghazi/Tobrouk, les Émirats arabes unis et la Russie (via des mercenaires et des livraisons d’armes) maintiennent un soutien logistique et militaire constant, tandis que l’Égypte apporte un appui discret mais décisif, motivée par sa sécurité frontalière et son rejet des influences islamistes.
À l’Ouest, autour du Gouvernement d’unité nationale reconnu par l’ONU à Tripoli, la Turquie consolide sa présence par des troupes, des drones, des conseillers et des accords énergétiques avantageux, exploitant les immenses ressources en hydrocarbures.
Ces acteurs externes arment discrètement leurs protégés respectifs, déploient des forces par procuration et concluent des contrats pétroliers juteux, transformant la Libye en un théâtre d’affrontements géostratégiques par intermédiaires. L’embargo sur les armes imposé par l’ONU reste largement ignoré, et les richesses du pays continuent de s’évaporer au profit d’intérêts étrangers. Quant à l’Algérie,. Elle soutient prioritairement le gouvernement légitime de Tripoli (considéré comme une « ligne rouge » pour sa sécurité nationale) et exerce une influence discrète sur certaines communautés (comme les Touaregs) ou réseaux transfrontaliers dans l’Ouest et le Sud libyen. Cependant, ce rôle « sombre » reste bien plus mesuré que celui des acteurs directs mentionnés ci-dessus : Alger évite toute intervention militaire ouverte, privilégie la médiation et la non-ingérence affichée, tout en veillant jalousement à ses intérêts sécuritaires (lutte contre le terrorisme, trafics et migrations).
Au final, ce jeu d’ombres multiples – où chaque acteur régional ou international protège ses arrières tout en dénonçant ceux des autres – bloque toute stabilisation durable. Tant que ces ingérences persistantes ne seront pas confrontées par des sanctions effectives et un consensus international réel, les déclarations vertueuses, fussent-elles sincères, resteront vaines. Le peuple libyen, qui endure depuis 2011 divisions, violences et pillage de ses ressources, continue d’en payer le prix le plus lourd.


























