La mort d’Anicet Ekane, survenue dans la nuit du 30 novembre au 1ᵉʳ décembre 2025 à l’âge de 74 ans alors qu’il était détenu au Secrétariat d’État à la Défense (SED) à Yaoundé, n’est pas un simple décès ; elle constitue un acte d’accusation brutal contre le régime de Paul Biya, au pouvoir depuis plus de 43 ans. Arrêté le 24 octobre à Douala, à la veille de la proclamation officielle de la « victoire » du président sortant, Anicet Ekane n’était pas un opposant tiède : président du Manidem, héritier idéologique de l’UPC historique et figure majeure de la gauche nationaliste camerounaise, il avait osé soutenir publiquement la revendication de victoire d’Issa Tchiroma Bakary, ce qui, dans le Cameroun de 2025, suffisait à en faire un ennemi d’État.
Transféré au SED —connu comme la prison où l’on fait taire les voix dissidentes — son état de santé s’est rapidement dégradé, tandis que les alertes répétées de ses camarades, les demandes d’évacuation sanitaire et les appels à un transfert vers un hôpital digne de ce nom sont restés lettres mortes. Dimanche 30 novembre, le Manidem lançait une nouvelle alerte ; le lendemain, Anicet Ekane était mort, sans qu’aucune explication ne soit fournie par les autorités, et ce silence éloquent en dit long sur la responsabilité du régime.
Cette tragédie n’est ni la première, ni la plus spectaculaire, mais elle constitue la goutte de trop, car Anicet Ekane n’était pas un inconnu. Il avait traversé toutes les époques de la contestation camerounaise : étudiant révolutionnaire dans les années 1970, membre du groupe Yondo Black arrêté et torturé en 1990, fondateur du Manidem en 1995 et candidat aux présidentielles de 2004 et 2011, il avait consacré sa vie à dénoncer la dictature, la corruption et la recolonisation économique du Cameroun. Même à 74 ans, malade et menotté, il incarnait cette dignité politique que le régime Biya tente de briser depuis des décennies : le refus de plier.
Son décès en détention résonne comme un écho tragique à d’autres injustices : Marafa Hamidou Yaya, toujours enfermé après 13 ans, les centaines de prisonniers politiques anglophones qui croupissent à Kondengui ou au SED, les militants du MRC torturés après 2020, et tous ceux dont on ne connaîtra jamais le nom. Aujourd’hui, le pouvoir ne se contente plus de voler les élections ; il tue ceux qui osent contester sa légitimité. Anicet Ekane est mort parce qu’il refusait de reconnaître la légitimité d’un président de 92 ans, grabataire et reconduit par la fraude et la terreur, et parce qu’il croyait encore que le Cameroun méritait mieux qu’un monarque gériatrique et son clan de prédateurs.
Ne nous y trompons pas : Anicet Ekane n’est pas mort, il a été assassiné, par la négligence volontaire, par le refus d’un traitement médical, par une machine politique qui broie silencieusement ceux qui refusent de se taire. Son décès doit être un point de rupture et rappeler à tous que l’on peut emprisonner un corps, mais jamais une idée. Anicet Ekane n’est plus, mais sa lutte, elle, continue, et l’Histoire finira par demander des comptes à ceux qui ont cru qu’un assassinat pouvait suffire à étouffer la vérité.



























