Le 13 mars 2025, à Damas, Ahmed al-Charaa, président par intérim de la Syrie, a paraphé une déclaration constitutionnelle censée ouvrir « une nouvelle page de l’histoire » pour un pays ravagé par plus d’une décennie de guerre civile et des mois d’instabilité post-Assad. « Nous remplaçons l’injustice par la justice, la corruption par la transparence, et la souffrance par la miséricorde », a-t-il proclamé lors d’une cérémonie sobre dans la capitale syrienne, sous les objectifs des caméras et les regards scrutateurs d’une population épuisée. Mais derrière ces mots empreints de symbolisme religieux — la miséricorde étant une vertu centrale des religions abrahamiques —,
cette constitution provisoire , qui doit régir la Syrie pendant une période transitoire de cinq ans, promet « un large éventail de droits et de libertés » : liberté d’opinion, d’expression, de la presse, ainsi que des garanties inédites pour les femmes en matière de droits sociaux, économiques et politiques. Ces engagements, qui contrastent avec les décennies de répression sous Bachar el-Assad, sont cependant encadrés par un principe incontournable : la charia reste la source principale de législation. Une décision qui reflète l’influence de Hayat Tahrir al-Cham (HTS), le groupe islamiste radical dirigé par Charaa avant son accession au pouvoir en décembre 2024, après la chute du régime.
La déclaration fait suite à un décret publié fin février par Charaa, instituant un comité de sept « experts » — tous nommés par lui — chargé de rédiger ce texte. Présenté comme un effort pour « réguler la phase de transition », le comité a pourtant été critiqué pour son manque de représentativité. Les Kurdes du nord-est (Rojava), les Alaouites de la côte ou encore les communautés chrétiennes n’y ont aucune voix, alimentant les soupçons d’une transition taillée sur mesure pour consolider le pouvoir de Charaa et de ses alliés.
Au-delà du manque d’inclusivité, cette déclaration confère à Ahmed al-Charaa des pouvoirs considérables, faisant de lui un véritable chef tout-puissant pendant la phase transitoire. En effet, un tiers des membres de l’Assemblée populaire intérimaire sera directement nommé par le président, lui offrant une mainmise indéniable sur le législatif. De plus, il dispose de la capacité de dissoudre toute institution jugée contraire aux principes de la transition, ce qui laisse craindre une dérive autoritaire sous couvert de stabilisation du pays.
Par ailleurs, l’absence de garanties claires sur la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice pose un véritable problème. Certains analystes soulignent que ce dispositif rappelle les mécanismes autocratiques qui ont prévalu sous le régime Assad. « Cette déclaration constitutionnelle n’est qu’un vernis juridique pour asseoir un pouvoir personnel fort, dans un contexte de fragilité politique et de tensions communautaires », estime un politologue syrien en exil.
Sur la scène internationale, cette déclaration constitutionnelle suscite des réactions partagées. D’un côté, la Turquie et le Qatar, qui ont historiquement soutenu les mouvements islamistes en Syrie, ont salué ce texte comme « une avancée vers la stabilisation et la reconstruction ». D’un autre côté, les États-Unis et l’Union européenne expriment de vives inquiétudes, redoutant un renforcement du pouvoir personnel de Charaa et un recul des libertés fondamentales.
L’ONU, par l’intermédiaire de son envoyé spécial pour la Syrie, a appelé à un processus plus inclusif, insistant sur la nécessité d’une transition qui implique toutes les composantes de la société syrienne. « Toute solution durable doit impliquer l’ensemble des forces politiques et ethniques du pays, sans quoi elle risque d’aggraver les fractures existantes », a déclaré le diplomate.
En définitive, bien que la déclaration constitutionnelle soit présentée comme un instrument de réforme et de transition, elle semble surtout servir à consolider le pouvoir d’Ahmed al-Charaa et de son entourage. Si elle contient certaines avancées en matière de droits, celles-ci restent subordonnées à l’application stricte de la charia et au contrôle du président. Le manque de représentation des différentes communautés syriennes et l’absence d’une véritable alternance politique font craindre une nouvelle étape d’instabilité.
Alors que la Syrie tente de tourner la page d’une guerre qui a laissé le pays en ruines, cette transition marque-t-elle le début d’une nouvelle ère, ou bien la continuité d’un pouvoir centralisé sous une nouvelle forme ? Seul l’avenir révélera si cette déclaration constitutionnelle ouvrira véritablement la voie à une réconciliation nationale ou si elle précipite le pays dans un nouveau cycle de tensions et de divisions.