Abidjan, 23 octobre 2025 – À deux jours du scrutin du samedi 25 octobre, la Côte d’Ivoire retient son souffle. Sur 30 millions d’habitants, 8,7 millions d’électeurs inscrits choisiront le prochain président parmi cinq candidats validés par le Conseil constitutionnel – un chiffre modeste face aux 60 dossiers initiaux.
L’absence de Laurent Gbagbo, Tidjane Thiam et Charles Blé Goudé, trois figures charismatiques aux bases populaires solides, a profondément modifié la dynamique électorale. Gbagbo, ancien président (2000-2011) et leader du Front populaire ivoirien (FPI), a été disqualifié en raison de sa condamnation pour le casse de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) en 2011, bien que sa popularité reste intacte dans l’ouest du pays. Tidjane Thiam, ex-PDG de Credit Suisse et figure montante du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), a vu sa candidature rejetée pour des irrégularités dans les parrainages. Quant à Charles Blé Goudé, ancien leader des Jeunes Patriotes et proche de Gbagbo, son exclusion pour des condamnations liées à la crise post-électorale achève de vider l’opposition de ses leaders les plus mobilisateurs.
Ces disqualifications, bien que conformes à la loi selon le Conseil constitutionnel, ont alimenté un sentiment d’injustice parmi les partisans de l’opposition. Dans les bastions traditionnels du FPI et du PDCI, comme Gagnoa ou Daoukro, des appels au boycott commencent à émerger, et l’abstention, déjà élevée lors des précédentes élections (54 % en 2020), pourrait battre des records, surtout dans les zones rurales et les fiefs de l’opposition.
Ouattara, maître du terrain
Alassane Ouattara est considéré comme le maître du terrain, grâce à un cumul d’expérience, de ressources et de contrôle institutionnel. À 83 ans, le candidat du RHDP brigue un quatrième mandat, appuyé par une Constitution remodelée en 2016. Son bilan parle pour lui : depuis 2011, le PIB ivoirien a été multiplié par 2,5, avec une croissance moyenne annuelle de 7 %, traduisant une performance économique soutenue malgré des inégalités persistantes.
Sur le plan infrastructurel, Ouattara a profondément marqué le paysage national : le pont Henri-Konan-Bédié, l’autoroute Yamoussoukro-Tiébissou et l’extension du port d’Abidjan symbolisent la modernisation du pays et cristallisent sa popularité. La stabilité post-crise 2010-2011, qu’il a su imposer, reste son atout majeur, renforçant son image de garant de l’ordre et de la continuité.
Son slogan, « Sans moi, le chaos », traduit une stratégie politique fondée sur la peur du vide institutionnel. Soutenu par 10 000 délégués, un budget de campagne de 150 milliards FCFA et la majorité des mairies, Ouattara domine un terrain électoral largement façonné par son action passée et sa maîtrise du pouvoir local. Ses rivaux, souvent dépourvus de structures comparables et de visibilité nationale, peinent à contester une hégémonie déjà solidement établie.
Les autres candidats et l’opposition
Face à Ouattara, quatre autres candidats tentent de se faire une place : Kouadio Konan Bertin (KKB) pour le FPI dissident, Mamadou Sangafowa du Parti Ivoirien des Forces Nouvelles, Albert Kakou Tiapani, candidat indépendant axé sur la jeunesse et l’innovation, et Amadou Coulibaly du Parti des Réformes et du Développement. Bien que marginalisés, ces candidats mettent en avant des thèmes tels que la gouvernance inclusive, la réduction des inégalités et la réconciliation nationale. Cependant, sans figures nationales charismatiques et avec des moyens financiers limités, leur capacité à rivaliser avec Ouattara reste réduite.
Enjeux et défis d’un scrutin déséquilibré
Malgré la domination apparente d’Ouattara, plusieurs défis menacent la crédibilité et la sérénité de l’élection. Outre le risque d’une forte abstention, des tensions localisées persistent, notamment dans les zones rurales du centre et de l’ouest, où rivalités ethniques et politiques restent vives. À Yopougon, commune populaire d’Abidjan, des échauffourées entre militants du RHDP et des groupes d’opposition ont été signalées, rapidement maîtrisées par les forces de l’ordre. La transparence électorale demeure cruciale : l’opposition exige un accès total des observateurs internationaux aux bureaux de vote et aux centres de compilation des résultats, une demande appuyée par la Cédéao et l’UE.
La communauté internationale joue un rôle ambivalent. D’un côté, elle soutient la tenue d’élections libres pour consolider la démocratie ivoirienne ; de l’autre, elle craint qu’un scrutin perçu comme biaisé n’attise les frustrations et ne ravive les tensions post-électorales. Les souvenirs de 2010-2011, où le refus de Gbagbo de reconnaître la victoire d’Ouattara avait plongé le pays dans la violence, restent dans toutes les mémoires. Plusieurs centaines d’observateurs seront déployés dans les principales villes et zones sensibles pour garantir la régularité du scrutin.
Pour les Ivoiriens, l’élection de 2025 représente bien plus qu’un simple renouvellement du pouvoir exécutif. Elle pose la question de l’avenir d’un pays qui, malgré ses avancées économiques, reste marqué par des fractures sociales, politiques et ethniques. Ouattara incarne pour beaucoup une forme de stabilité, mais son âge avancé et la perspective d’un quatrième mandat suscitent des interrogations sur la transition politique à venir. Le RHDP devra tôt ou tard affronter la question de la relève, dans un contexte où les jeunes générations, de plus en plus urbanisées et connectées, aspirent à un renouveau politique.
Face à ce géant, les candidats de l’opposition tentent de poser les bases d’une alternative. Mais sans leaders charismatiques et avec des ressources limitées, leur impact risque de rester marginal dans une élection largement dominée par le président sortant.


























