L’attentat perpétré le 26 décembre 2025 contre la mosquée Imam Ali bin Abi Talib, dans le quartier de Wadi al-Dhahab à Homs, ne saurait être réduit à un simple épisode terroriste de plus dans une Syrie meurtrie. En frappant un lieu de culte au moment de la prière du vendredi, au cœur d’un quartier majoritairement alaouite, l’attaque — qui a fait au moins huit morts et dix-huit blessés — constitue un acte politique, confessionnel et symbolique d’une extrême gravité. Elle révèle, de manière brutale, les failles béantes de la Syrie dite « post-Assad » et l’illusion dangereuse d’une transition pacifiée.
Les premiers éléments de l’enquête indiquent que plusieurs engins explosifs avaient été placés à l’intérieur même de la mosquée, ce qui suppose une préparation méthodique, une infiltration et une volonté claire de maximiser le carnage. Le choix de la cible n’est pas fortuit : les alaouites, déjà fragilisés depuis la chute du régime de Bachar el-Assad en décembre 2024, sont devenus des boucs émissaires désignés dans le discours de groupes extrémistes sunnites qui les assimilent collectivement à l’ancien pouvoir.
La revendication publiée sur Telegram par le groupe Saraya Ansar al-Sunna, qui qualifie ouvertement les alaouites d’« apostats » et de « Nusayris », ne laisse aucune ambiguïté : il s’agit d’un terrorisme de purification confessionnelle, assumé et revendiqué comme tel. Cette rhétorique rappelle les heures les plus sombres de l’État islamique, dont ce groupuscule serait, selon plusieurs analystes, une émanation ou un rejeton idéologique.
Le lendemain de l’attentat, le 27 décembre, des centaines de personnes ont bravé le froid et la pluie pour accompagner les victimes à leur dernière demeure. La mosquée, toujours bouclée pour raisons de sécurité, est devenue le symbole d’une communauté qui pleure ses morts dans la crainte, l’amertume et le sentiment d’abandon. Lors des obsèques, des appels à l’unité nationale ont été lancés, mais ces paroles résonnent douloureusement dans un pays où les assassinats ciblés, les déplacements forcés et les violences communautaires se sont multipliés tout au long de l’année 2025.
Les autorités syriennes ont condamné un « acte terroriste visant à semer le chaos », tandis que la communauté internationale — ONU, France, États du Golfe — a exprimé une condamnation unanime. Mais au-delà des communiqués diplomatiques, une question demeure : qui protège réellement les minorités dans la Syrie nouvelle ?
L’un des aspects les plus explosifs de cette affaire réside dans les doutes entourant l’authenticité et l’instrumentalisation possible de la revendication. Saraya Ansar al-Sunna est un groupe aussi brutal que mystérieux, apparu récemment, sans structure claire, dont les canaux de communication surgissent et disparaissent aussi vite. Certains observateurs pointent des incohérences troublantes : usage d’anciens symboles de propagande jihadiste, revendications relayées par des comptes anonymes, silence prolongé après l’attaque.
Sur les réseaux sociaux et dans certains cercles alaouites, une accusation lourde circule : celle d’une complaisance, voire d’une instrumentalisation, de la part des autorités transitoires dominées par des factions issues de l’ex-opposition armée. Des voix accusent ouvertement les nouvelles forces de sécurité de fermer les yeux — ou pire — sur des violences ciblant les minorités, tout en se retranchant derrière la menace jihadiste pour se dédouaner.
La réaction de certains leaders alaouites illustre la profondeur de la crise. L’appel du cheikh Ghazal Ghazal à des manifestations massives sur la côte syrienne, assorti d’une revendication de fédération politique ou d’autonomie régionale, marque une rupture majeure. Sans appeler explicitement à la guerre civile, ces discours traduisent une perte de confiance radicale dans l’État central et ravivent le spectre d’une balkanisation confessionnelle de la Syrie.
Le Conseil suprême islamique alaouite dénonce une « campagne systématique d’intimidation et d’élimination », évoquant un risque d’effondrement national si aucune garantie sérieuse n’est apportée à la sécurité des minorités. Face à cela, le gouvernement affirme défendre un « État civique unifié », mais peine à convaincre sur le terrain.
L’attentat de Homs n’est pas un accident de parcours : il est le symptôme d’une transition mal maîtrisée, où le vide sécuritaire, l’impunité et les règlements de comptes confessionnels offrent un terrain fertile aux groupes extrémistes. En s’attaquant à une mosquée alaouite, Saraya Ansar al-Sunna — ou ceux qui se cachent derrière ce nom — cherchent moins à frapper militairement qu’à rendre la Syrie ingouvernable, en rallumant les braises d’une guerre identitaire que beaucoup pensaient éteinte.


























