Damas, 29 décembre 2025 – Ahmad al-Chareh, président par intérim de la Syrie, a présenté lundi les nouveaux billets de banque du pays lors d’une cérémonie officielle au Palais des conférences de Damas, aux côtés du gouverneur de la Banque centrale syrienne, Abdul Qadir al-Hasriya. Derrière les motifs floraux et agricoles affichés sur les nouvelles coupures, cette réforme monétaire marque avant tout une rupture brutale avec l’ordre ancien et un acte d’autorité dans un pays encore profondément meurtri par quatorze années de guerre.
En supprimant définitivement les portraits de Bachar et Hafez el-Assad des billets, le pouvoir de transition enterre l’un des symboles les plus visibles du culte de la personnalité qui a structuré l’État syrien pendant plus d’un demi-siècle. Ahmad al-Chareh a présenté cette décision comme une « étape cruciale » d’une stratégie économique nationale visant à restaurer la stabilité monétaire et à rétablir une confiance largement détruite. Mais le message est clair : la nouvelle Syrie ne se construira ni dans la nostalgie ni dans l’indulgence.
Les nouveaux billets, ornés de roses de Damas, d’oranges, d’olives, de blé, de mûriers et de chevaux, se veulent porteurs d’une identité collective recentrée sur la terre et la production. « Le nouveau design est l’expression d’une identité nationale débarrassée de la vénération des individus », a déclaré Ahmad al-Chareh. Une déclaration qui sonne autant comme une promesse que comme un avertissement, dans un pays où la monnaie a longtemps été un instrument de propagande autant qu’un symbole de faillite économique.
Le président syrien a qualifié le remplacement de la monnaie d’« opération chirurgicale extrêmement délicate ». La nouvelle livre syrienne sera introduite progressivement afin d’éviter toute flambée inflationniste et de contenir les comportements spéculatifs. La réforme repose sur la suppression de deux zéros : 100 anciennes livres syriennes équivaudront désormais à 1 nouvelle livre. Le processus débutera le 1er janvier 2026 et s’étendra sur une période de 90 jours, avec possibilité de prolongation. La première phase concernera les grosses coupures de 1 000, 2 000 et 5 000 livres, tandis que les autres billets resteront temporairement en circulation.
Ahmad al-Chareh a insisté sur la nécessité d’une discipline collective stricte. « Il faut éviter la panique, ignorer les rumeurs et se fier exclusivement aux communiqués de la Banque centrale », a-t-il martelé. Toute spéculation sera criminalisée. Le processus de conversion sera entièrement gratuit : aucune commission, aucun frais, aucune taxe ne sera tolérée. Les autorités financières et les institutions de contrôle ont été chargées de veiller à l’application rigoureuse de ces mesures.
Sur le plan des transactions juridiques, le durcissement est net. Ahmad al-Chareh a annoncé que la nouvelle livre syrienne sera utilisée exclusivement pour la rédaction des contrats, des actes notariés et des documents financiers dès le lancement du processus de remplacement. Il sera obligatoire de préciser clairement la devise utilisée, tandis que la Banque centrale publiera régulièrement des bulletins officiels des taux de change dans les deux monnaies afin de prévenir toute fraude ou manipulation. Les établissements commerciaux devront afficher les prix à la fois en ancienne et en nouvelle monnaie pendant toute la période de transition, sous peine de sanctions.
Tous les soldes bancaires et électroniques seront automatiquement convertis en nouvelle livre à partir du 1er janvier 2026. Pour le pouvoir, il s’agit autant d’une mesure de simplification que d’un instrument de reprise en main de l’économie informelle, qui a prospéré dans le chaos des années de guerre et de sanctions.
Cette réforme intervient sous l’autorité d’Ahmad al-Chareh, ancien chef de Hay’at Tahrir al-Sham, devenu homme d’État après avoir dirigé l’offensive ayant conduit à la chute de Bachar el-Assad le 8 décembre 2024. Depuis sa nomination à la tête de la transition en janvier 2025, il s’est engagé dans une reconstruction institutionnelle rapide, marquée par la levée partielle des sanctions internationales, la normalisation diplomatique et une volonté affichée de contrôle étroit des leviers économiques.
Derrière les fleurs et les fruits gravés sur les nouveaux billets, la réforme monétaire révèle une réalité plus sombre : celle d’un État qui tente de se réinventer dans un climat de fragilité extrême, de méfiance sociale et de mémoire encore vive de la violence. La nouvelle monnaie n’est pas seulement un symbole de rupture avec Assad ; elle est aussi un test de crédibilité pour un pouvoir qui sait que la stabilité économique sera décisive pour sa survie politique.


























