La géopolitique ne laisse jamais place au hasard. En choisissant le Vietnam pour ouvrir sa tournée du Sud-Est asiatique, Emmanuel Macron ne répond pas simplement à une invitation diplomatique repoussée depuis 2018. Il adresse un message clair : dans un Indo-Pacifique fragmenté entre les tensions sino-américaines et les ambitions régionales, Paris entend se redéployer avec lucidité et détermination.
Initialement promise il y a sept ans, la venue d’Emmanuel Macron à Hanoï a été plusieurs fois ajournée. Mais aujourd’hui, le contexte impose une accélération. La visite, prévue autour des 26 et 27 mai (sous réserve de modification), ne se résume pas à un simple rattrapage protocolaire. Elle s’inscrit dans une séquence stratégique, qui mènera le président français en Indonésie, puis à Singapour pour le prestigieux Dialogue de Shangri-La, où il prononcera le discours d’ouverture.
Le choix du Vietnam n’est pas anodin. Le pays est devenu un acteur central de la nouvelle géographie industrielle mondiale. Tirant parti des tensions sino-américaines, il s’impose comme une plate-forme manufacturière incontournable, accueillant des investissements massifs – y compris chinois – venus contourner les lourdes sanctions commerciales imposées par Washington. Résultat : un boom des exportations vers les États-Unis, qui alarme désormais la Maison-Blanche.
Début avril, l’administration Trump a menacé Hanoï de droits de douane allant jusqu’à 46 %, dénonçant une « tricherie déguisée » orchestrée par la Chine via le Vietnam. Si cette menace a été momentanément suspendue, elle souligne à quel point le pays est au cœur d’un bras de fer entre géants.
Pour la France, cette montée en puissance du Vietnam ouvre une brèche. Elle lui permet de s’inscrire dans un jeu d’équilibres où aucune puissance n’a encore totalement imposé son modèle. À travers cette visite, Paris espère repositionner sa stratégie indo-pacifique en valorisant une « troisième voie » fondée sur la souveraineté, la coopération bilatérale et le refus des logiques de blocs.
Mais les défis sont considérables : la France souffre d’un déficit commercial abyssal avec le Vietnam (plus de 5 milliards d’euros en 2024), et son influence économique y reste marginale. La concurrence est rude, notamment face à la Corée du Sud, au Japon ou même à Israël. Aucun grand groupe français ne figure parmi les vingt marques les plus reconnues dans le pays.
À soixante-dix ans de la bataille de Diên Biên Phu, ce déplacement revêt aussi une portée symbolique. Mais Emmanuel Macron ne vient pas solder le passé : il ambitionne de projeter la France dans le futur asiatique. La défense, le nucléaire civil (EDF), la coopération navale ou aérienne, et surtout le transfert technologique seront au cœur des négociations. Car Hanoï ne cède rien sans contrepartie : il exige des partenariats équilibrés et des engagements industriels solides.