Le Premier ministre français Sébastien Lecornu a survécu, jeudi 16 octobre, à deux motions de censure successives déposées à l’Assemblée nationale par les extrêmes, une de la France insoumise (LFI) et une autre du Rassemblement national (RN). Un premier test parlementaire qui lui permet, temporairement du moins, de sauver son gouvernement fraîchement remanié — mais le plus dur reste à venir : faire adopter un budget d’austérité dans un Parlement sans majorité.
La motion de LFI, soutenue par 271 députés, a échoué de peu, à 18 voix de la majorité absolue nécessaire pour renverser le gouvernement. Celle du RN n’a recueilli que 144 suffrages. Le soutien décisif est venu du Parti socialiste, qui a choisi de ne pas s’associer à la chute du Premier ministre après que ce dernier a suspendu la réforme des retraites de 2023, une mesure jugée explosive socialement.
« Le fait d’épargner le Premier ministre n’est en aucun cas un pacte », a averti Laurent Baumel, député socialiste, soulignant que le PS exigera des concessions lors des négociations budgétaires à venir.
Pour Yaël Braun-Pivet, présidente de l’Assemblée nationale et proche d’Emmanuel Macron, l’heure est à l’apaisement :
« Une majorité œuvre encore pour le compromis, le travail et la responsabilité », a-t-elle déclaré après le vote.
Sébastien Lecornu, cinquième Premier ministre en moins de deux ans, sait que cette victoire parlementaire n’est qu’un répit. Le chef du gouvernement, âgé de 39 ans, doit désormais présenter un budget 2026 serré sous la pression de Bruxelles, qui réclame à la France une réduction drastique de son déficit public et de son endettement, parmi les plus élevés de l’Union européenne.
Mais le chemin parlementaire s’annonce semé d’embûches. Lecornu s’est engagé à ne pas recourir à l’article 49.3 — utilisé par ses prédécesseurs pour imposer les budgets sans vote —, promettant au contraire de « débattre et de soumettre » chaque texte au suffrage des députés.
Un pari risqué, dans une Chambre éclatée où la majorité présidentielle ne dispose plus que d’un pouvoir d’arbitrage fragile.
« Lecornu est loin d’être tiré d’affaire », analyse Natacha Butler, correspondante d’Al Jazeera à Paris. « Il doit convaincre un Parlement divisé, où beaucoup ne cherchent qu’à précipiter sa chute pour provoquer de nouvelles élections. »
En coulisses, Emmanuel Macron observe la manœuvre avec une nervosité croissante. Son autorité, déjà ébranlée par les crises politiques successives, est fragilisée par une impopularité record et les divisions internes à son camp.
L’échec d’un nouveau budget pourrait l’obliger à dissoudre l’Assemblée nationale, un scénario que l’Élysée redoute : selon les sondages, le RN sortirait largement vainqueur d’éventuelles élections législatives anticipées.
Marine Le Pen ne s’en cache pas :« Le gouvernement Lecornu ne tient que par terreur électorale », a-t-elle lancé, promettant de « hâter la fin du macronisme ».
Les turbulences actuelles rappellent à quel point la France demeure politiquement ingouvernable depuis les élections législatives anticipées de 2024, qui avaient abouti à un Parlement sans majorité absolue. Lecornu, qui avait brièvement démissionné avant d’être reconduit avec un cabinet resserré, tente désormais de rétablir un semblant de stabilité.
Mais son mandat s’annonce précaire : chaque vote, chaque négociation budgétaire, chaque concession pourrait sceller son sort — et avec lui, celui du président.
Pour l’heure, le gouvernement a survécu, mais l’équilibre demeure fragile. Et à Paris, nul ne doute que la véritable bataille — celle du budget — ne fait que commencer.