Le lundi 24 novembre 2025, dans la cour de l’hôtel de Matignon, Sébastien Lecornu a prononcé une allocution qui ressemblait moins à une déclaration de politique générale qu’à un appel au secours déguisé en plan de bataille. Confronté à la menace très réelle d’un rejet pur et simple du projet de loi de finances (PLF) 2026 et du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), le Premier ministre a annoncé un changement radical de méthode. Plutôt que de tenter en vain l’adoption d’un texte global au sein d’une Assemblée nationale fragmentée et hostile, il propose de contourner l’obstacle en multipliant les votes thématiques sur cinq « priorités absolues » : déficit public, réforme de l’État, énergie, agriculture, et sécurité intérieure et extérieure.
Pour ce faire, Lecornu entend réunir dès la semaine prochaine l’ensemble des formations politiques ainsi que les partenaires sociaux afin de négocier ces cinq grands chantiers. Les résultats de ces discussions seraient ensuite soumis à l’Assemblée et au Sénat sous forme de votes indicatifs au titre de l’article 50-1 de la Constitution, dans l’objectif de créer un « cadre de compromis » susceptible de faciliter l’adoption du budget global à la mi-décembre.
La première étape concrète sera un vote spécifique sur la défense, afin de garantir les 6 milliards d’euros supplémentaires prévus par la loi de programmation militaire 2023-2030. Le Premier ministre a insisté : « Les armées seraient les premières victimes » d’un échec budgétaire. Cette approche fragmentée, bien que symbolique et dépourvue de valeur normative, vise à mettre la pression sur les oppositions et à tester la faisabilité d’une majorité « thème par thème », même si celle-ci demeure introuvable sur l’ensemble du texte.
Le rejet quasi-unanime de la première partie (recettes) du budget à l’Assemblée nationale le week-end précédent a agi comme un électrochoc. Les Républicains, le Rassemblement national et la gauche de la NUPES ont voté contre, chacun pour des raisons différentes, mais avec le même résultat : le gouvernement n’a plus de majorité, même relative, sur les questions fiscales.
Au Sénat, où la droite est majoritaire, l’examen du PLF repart de la copie initiale du gouvernement. Les sénateurs ont déjà commencé à modifier certaines mesures fiscales, comme la restriction de la taxe sur les holdings familiales ou le refus de la surtaxe sur l’impôt sur les sociétés, tout en maintenant pour l’instant la contribution différentielle sur les très hauts revenus. Mardi soir, ils s’apprêtent à rejeter deux mesures phares : la suspension temporaire de la réforme des retraites et le dégel des prestations sociales.
Dans son allocution, le Premier ministre n’a pas mâché ses mots. Il a dénoncé le « cynisme » de ceux qui « parlent déjà de loi spéciale » — c’est-à-dire la reconduction pure et simple du budget 2025 en cas d’échec total — visant directement La France insoumise, le Rassemblement national et, de façon à peine voilée, Bruno Retailleau. Ce dernier avait déclaré préférer une loi de reconduction plutôt qu’un « budget qui continuera à déclasser la France ».
Côté Républicains, on oscille entre scepticisme et irritation. Le rapporteur général du budget au Sénat, Jean-François Husson, a dénoncé une « cacophonie » et un manque de « clarté » : « Si vous voulez donner le tournis aux Français, vous ne vous y prenez pas autrement. »
Le calendrier s’annonce sous très haute tension. Dès la semaine du 25 novembre, Matignon lancera des consultations tous azimuts avec les partis politiques et les partenaires sociaux. Début décembre, un vote à l’Assemblée sur la défense, au titre de l’article 50-1, marquera la première étape concrète de cette méthode thématique. Mi-décembre, l’examen du PLF 2026 reprendra à l’Assemblée, avant que la fin décembre n’impose la date butoir constitutionnelle pour l’adoption du budget.Un calendrier sous très haute tension
Si l’échec est total, le gouvernement devra soit recourir au 49.3 (mais sur quel texte ?), soit lancer une loi de finances rectificative début 2026, soit accepter une loi spéciale de reconduction — solution que Lecornu présente comme une capitulation politique.
Derrière la bataille technique se joue une partie d’échecs à haut risque pour l’exécutif. Lecornu veut démontrer qu’une majorité peut exister « thème par thème », même si elle reste introuvable sur un texte global. C’est une manière de mettre les oppositions face à leurs contradictions : comment refuser un renforcement des crédits défense tout en se disant patriote ? Comment rejeter des mesures sur le pouvoir d’achat énergétique tout en dénonçant la vie chère ?
Mais le pari est risqué. En fragmentant le débat, le gouvernement prend le risque de voir chaque camp camper sur ses lignes rouges : les Républicains exigeront des baisses de dépenses massives, le RN refusera toute hausse d’impôt, et la gauche coupera dans les prestations sociales. À la fin, il faudra bien recoller les morceaux… ou assumer l’échec.
Pour l’instant, une chose est sûre : la France entre dans un mois décisif où le budget 2026 sera moins une loi de finances qu’un révélateur brutal de la crise politique que traverse le pays depuis les législatives de 2024.


























