L’annonce de la victoire de Kaïs Saïed à la présidentielle tunisienne, avec un score de 89 % des voix dès le premier tour selon un sondage à la sortie des urnes, cristallise à la fois enthousiasme et inquiétude. Ce succès écrasant, célébré par ses partisans, survient dans un climat de faible participation (27,7 %), accentuant les questionnements sur la légitimité du scrutin et la santé démocratique du pays.
Kaïs Saïed, élu en 2019 avec 73 % des voix, jouit encore d’un soutien non négligeable au sein des classes populaires. L’image de l’homme intègre, opposé aux anciennes élites corrompues et au parti islamiste Ennahdha, continue de séduire. Cependant, la baisse de la participation, en comparaison avec les 45 % enregistrés lors du premier tour de 2019, révèle une désaffection croissante de la population pour un processus politique jugé biaisé et prévisible. Cette désillusion reflète également l’échec du président à sortir la Tunisie de la crise économique et politique qui mine le pays.
Le déroulement de cette élection n’a pas manqué de susciter des critiques. L’éviction des principaux rivaux, dont certains emprisonnés ou disqualifiés par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), jette une ombre sur la transparence et l’équité du processus. Des observateurs, comme l’analyste politique Hatem Nafti, soulignent que « la légitimité de cette élection est forcément entachée » par ces manœuvres. De plus, l’opposition, représentée notamment par Zouhaïr Maghzaoui, remet en cause la fiabilité des sondages et s’inquiète de possibles fraudes électorales.
Depuis sa prise de pouvoir en 2019, Kaïs Saïed a consolidé son autorité, notamment après avoir dissous le Parlement en 2021 et gouverné par décret. Accusé de « dérive autoritaire » par ses détracteurs, il a réduit l’influence des contre-pouvoirs tout en multipliant les arrestations de personnalités politiques, syndicalistes et militants. Bien que cette stratégie lui ait permis de marginaliser ses opposants, elle a gravement affaibli les institutions démocratiques tunisiennes. Les ONG locales et internationales dénoncent une répression croissante des libertés publiques, faisant craindre un retour à un régime autoritaire.
Kaïs Saïed promet, pour les cinq ans à venir, une « traversée vers une nouvelle Tunisie », mais les résultats de son premier mandat laissent sceptiques nombre d’observateurs. Si sa posture de défenseur des valeurs révolutionnaires lui a permis de maintenir une certaine popularité, son incapacité à relancer l’économie, conjuguée à une gestion autocratique du pouvoir, pourrait accentuer les fractures sociales et politiques du pays.
Le défi, pour Saïed, sera désormais de prouver qu’il peut concrétiser ses promesses et rétablir la confiance d’une population de plus en plus désabusée. Sa réélection, bien que largement attendue, ne résout en rien les profonds maux qui rongent la Tunisie, à commencer par la crise économique et la perte de crédibilité des institutions démocratiques.