Encore une fois, l’Algérie s’enlise dans ses propres contradictions, instrumentalisant une crise diplomatique avec Abou Dhabi pour maquiller ses failles internes. Une mise en scène bien rodée : le pouvoir algérien excelle dans l’art de fabriquer des ennemis extérieurs dès que l’unité intérieure vacille. La dernière querelle ? Une émission diffusée sur Sky News Arabia, dans laquelle l’historien algérien Mohamed Amine Belghit, invité sur un plateau émirati, nie l’identité amazighe de l’Algérie, qualifiant cette composante essentielle de « construction franco-sioniste ».
La réaction d’Alger a été aussi rapide que virulente. Le journal télévisé de 20h de la télévision publique s’est transformé en tribune de guerre, déversant un torrent d’invectives contre les Émirats arabes unis, accusés de « provocation », de « tentative de division » et même qualifiés d’« entité artificielle », d’« usine à produire le mal » ou encore de « nains vendus à des maîtres tueurs d’enfants ». Une rhétorique déchaînée, à mille lieues du langage diplomatique habituel.
Mais la crise dépasse le simple écran télévisé. Moins de deux jours après la diffusion de l’émission, Belghit est placé en détention provisoire pour « atteinte aux symboles de la Nation » et « incitation à la haine ». Le Haut commissariat à l’amazighité, bras culturel de la présidence, condamne ses propos et évoque des « voix marginales » sapant la cohésion nationale.
Pourquoi un tel emballement ? Parce qu’il est toujours plus commode d’agiter l’épouvantail étranger que de regarder en face ses propres carences. Depuis 2016, le tamazight est certes langue officielle, et Yennayer figure au calendrier national. Mais sur le terrain, la reconnaissance pleine et entière de l’identité amazighe reste au point mort, entre répression des militants kabyles, interdiction du drapeau amazigh et double discours permanent du pouvoir. Une fracture identitaire toujours à vif.
Alger accuse les Émirats d’avoir offert une tribune à la haine ? Pourtant, ce sont bien les autorités algériennes qui ont permis à ce type de discours de s’ancrer dans l’espace public. Comme le rappelle un militant kabyle sur les réseaux sociaux : « Ce n’est pas Sky News qui nie notre histoire, c’est l’État algérien qui cautionne ceux qui la falsifient. »
Cette tension n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans un climat régional explosif, où l’Algérie multiplie les charges contre des pays arabes accusés d’ingérences. Déjà en mars 2024, Tebboune dénonçait une mystérieuse « main arabe » à l’origine des tensions internes. Un an plus tard, le même refrain revient, usé jusqu’à la corde, pendant que les réformes attendent, et que l’économie patine.
Le discours officiel algérien se radicalise, quitte à rompre les derniers équilibres régionaux. À force de rhétorique martiale, Alger se coupe de ses partenaires, s’isole diplomatiquement et creuse un fossé entre son discours nationaliste et la réalité du terrain. Ce populisme à outrance masque mal le vide réformateur. Drapé dans son costume de résistant éternel, le régime algérien joue les Don Quichotte face aux moulins émiratis, saoudiens ou marocains… mais le théâtre tourne à vide.
Et si la véritable crise n’était pas à Abou Dhabi, mais à El Mouradia ? Là où l’on préfère dénoncer des complots imaginaires plutôt que d’affronter les véritables défis de la nation : fracture identitaire, lassitude populaire, déclin économique. Le peuple algérien ne demande pas des discours héroïques, mais des réponses concrètes. L’ennemi n’est peut-être pas ailleurs. Il est chez soi, dans le silence des réformes qu’on refuse.