La diplomatie algérienne a vécu l’un de ses épisodes les plus embarrassants depuis plusieurs décennies, révélant une tendance inquiétante à substituer l’outrance verbale à la prudence stratégique. Tout commence le 23 septembre 2025, lors d’une conférence culturelle organisée à Beyrouth sous le titre « Liban et Algérie : histoire rayonnante et présent radieux ». L’événement, censé renforcer les liens historiques et culturels entre Alger et Beyrouth, a rapidement basculé dans un registre inédit d’insultes et d’excès. L’ambassadeur d’Algérie au Liban, Kamel Bouchama, prenant la parole, s’est laissé emporter dans un long discours qui a dévié de son objet initial, multipliant les assertions erratiques, allant jusqu’à affirmer que la guerre d’indépendance avait fait vingt millions de martyrs – chiffre fantaisiste et historiquement contestable.
Mais ce sont ses attaques directes contre le président des États-Unis, Donald Trump, qui ont véritablement déclenché la tempête diplomatique. Qualifiant le locataire de la Maison Blanche de « fou », d’« imbécile » et de « cow-boy dérangé qui devrait être interné dans un hôpital psychiatrique », Bouchama a transformé une tribune culturelle en tribune de diatribe personnelle, éclipsant totalement l’objectif initial de la conférence et provoquant un embarras profond à Beyrouth. Le gouvernement libanais, tout en restant officiellement silencieux, a fait part de son malaise à travers des sources proches du ministère des Affaires étrangères, qualifiant ces propos de « sans précédent et profondément troublants ». À Washington, l’ambassade américaine a choisi de ne pas commenter, mais il est évident qu’un affront de cette nature, public et insultant, ne pourrait rester sans conséquences.
Face à la controverse, Alger a annoncé le 1er octobre 2025 le limogeage de l’ambassadeur Kamel Bouchama. Les autorités algériennes ont souligné que ses propos constituaient une « opinion personnelle » incompatible avec les « constantes et valeurs de la diplomatie algérienne ». Mais le choix de communiquer par fuites dans des médias proches du pouvoir et l’absence de communiqué officiel renforcent l’impression d’une réaction précipitée et embarrassée, révélatrice d’une gestion maladroite et désordonnée d’une crise qui aurait nécessité diplomatie et stratégie.
Cet incident dépasse le simple cas individuel. Il révèle une dérive inquiétante dans la conduite diplomatique algérienne, où l’outrance et l’insulte semblent devenir des instruments de communication officiels. La diatribe publique de Bouchama illustre un manque de maîtrise et de discernement, qui risque de fragiliser la crédibilité de l’Algérie sur la scène internationale, d’affaiblir ses relations bilatérales et de compromettre ses intérêts stratégiques et économiques. La diplomatie, loin d’être un théâtre pour les excès verbaux, exige rigueur, nuance et capacité à défendre les positions nationales avec intelligence et mesure, qualités que l’incident Bouchama met cruellement en lumière.
Par ailleurs, ce cas souligne l’incapacité apparente des autorités à encadrer leurs représentants dans des contextes internationaux sensibles. La diplomatie algérienne, en se livrant à des diatribes publiques, risque de projeter une image d’incohérence et d’imprévisibilité, donnant à ses partenaires l’impression que chaque déclaration officielle pourrait se transformer en crise. Dans un monde où la communication est scrutée à la loupe, où chaque mot peut avoir un impact stratégique, un excès de langage peut peser lourdement sur la réputation et la position internationale d’un État.
Le limogeage de Bouchama, bien qu’indispensable, ne suffit pas à restaurer la crédibilité. Il illustre surtout un problème structurel : la diplomatie algérienne semble parfois confuse dans sa hiérarchie de valeurs, laissant l’émotion et l’idéologie personnelle prendre le pas sur la rationalité et la prudence. La force d’une politique étrangère ne réside ni dans la surenchère verbale ni dans l’attaque personnelle d’un chef d’État étranger, mais dans la maîtrise du discours, la capacité à défendre ses positions et la faculté à préserver la dignité et la réputation d’un pays sur la scène internationale.
L’affaire Kamel Bouchama doit donc être analysée comme un avertissement sévère pour Alger : continuer à laisser la diatribe remplacer la retenue risque de transformer la diplomatie nationale en instrument de tensions inutiles, de crises évitables et de pertes de crédibilité irréversibles. Le défi est désormais clair : retrouver la raison, la stratégie et l’intelligence dans la conduite des affaires étrangères pour que la voix de l’Algérie sur la scène internationale soit respectée, entendue et efficace.