Les autorités tunisiennes ont déclenché une enquête préliminaire visant plusieurs dizaines d’associations et organisations de la société civile, soupçonnées d’avoir reçu des financements étrangers, notamment de la Fondation Open Society (OSF), fondée par le milliardaire américain George Soros. Cette initiative intervient dans un contexte politique marqué par une vigilance accrue à l’égard des flux financiers extérieurs et des risques d’ingérence dans les affaires nationales.
Selon des sources judiciaires, l’instruction a déjà conduit à la dissolution de 47 associations et au gel des avoirs de 36 autres. Les services compétents auraient identifié des transferts en provenance d’organisations basées aux États-Unis et en Europe, destinés à des associations tunisiennes opérant dans les domaines des droits humains, de la gouvernance et de la promotion des libertés. Si ces financements sont souvent présentés comme un soutien à la démocratie et à la société civile, ils font désormais l’objet d’un examen rigoureux pour vérifier leur conformité avec la législation tunisienne encadrant les financements étrangers.
Le ministère public a ordonné l’ouverture d’une « enquête pour soupçons de financement étranger non déclaré » sur la base de la loi tunisienne de 2018 régissant les associations. Cette législation, encore en attente d’une réforme approfondie, impose déjà la transparence des ressources et interdit tout financement susceptible d’influencer l’ordre public ou le processus politique. Plusieurs associations concernées défendent leur intégrité, affirmant avoir agi dans le strict respect de la loi et dénonçant une instrumentalisation politique de l’affaire.
George Soros, 94 ans, homme d’affaires et philanthrope d’origine hongroise naturalisé américain, est célèbre pour sa fortune bâtie sur la spéculation financière. Fondateur dans les années 1980 de l’Open Society Foundations, un réseau actif dans plus de 120 pays, il s’est donné pour objectif de promouvoir la démocratie, l’État de droit et les droits humains. Depuis juin 2023, il a progressivement transmis la gestion de l’OSF à son fils Alexander Soros.
Toutefois, son nom reste l’objet de vives polémiques. Dans plusieurs pays, ses actions sont perçues comme des instruments d’influence politique déguisés en initiatives humanitaires. En Europe de l’Est, en Afrique ou au Moyen-Orient, la présence de ses fondations est souvent interprétée comme un vecteur d’ingérence occidentale. En Hongrie, Viktor Orbán a mené une véritable campagne contre le « réseau Soros », l’accusant de remodeler l’équilibre politique et migratoire. Aux États-Unis, fin septembre 2025, Donald Trump a annoncé son intention de lancer une enquête fédérale contre Soros et son réseau, l’accusant de financer des manifestations violentes et d’agir comme un réseau d’« agitateurs professionnels » au service d’intérêts étrangers.
Parallèlement, Soros demeure l’un des philanthropes les plus généreux au monde : entre les années 1980 et aujourd’hui, il a consacré environ 75 à 80 % de sa fortune personnelle, soit plus de 32 milliards de dollars, à des causes publiques via l’OSF, réalisant l’un des transferts caritatifs les plus importants jamais enregistrés.
Cette affaire relance le débat sur la transparence du financement des ONG et sur la frontière ténue entre aide au développement et ingérence étrangère. Depuis la révolution de 2011, des centaines d’associations tunisiennes ont bénéficié de fonds extérieurs, jouant un rôle crucial dans la transition démocratique. Toutefois, le président Kaïs Saïed n’a eu de cesse de dénoncer les « tentatives d’ingérence étrangère » et d’appeler à un assainissement du secteur associatif. L’ouverture de l’enquête s’inscrit ainsi dans une démarche de contrôle renforcé du tissu associatif et de reconquête de la souveraineté nationale. Reste à savoir si elle débouchera sur des sanctions concrètes ou constituera avant tout un signal politique.
Parmi les ONG tunisiennes ayant bénéficié des financements de l’OSF figurent Al Bawsala, spécialisée dans la vigilance parlementaire, le Forum Tunisien pour les Droits Économiques et Sociaux (FTDES), ainsi que des associations actives dans la défense des droits LGBTQ+, telles que Mawjoudin, Damj, Chouf et Shams. Des médias en ligne comme Nawaat et Inkyfada ont également reçu le soutien de l’OSF. Ces financements, bien que documentés, ne sont pas centralisés dans un registre public exhaustif, alimentant la controverse.
Au-delà de la gouvernance et de la démocratie, l’OSF s’engage depuis plusieurs années sur des questions sociétales sensibles : justice de genre, droits LGBTQ+, droits reproductifs et diversité. En 2024, l’OSF a annoncé un engagement de 100 millions de dollars sur cinq ans pour la « mobilisation politique féministe », ciblant les personnes transgenres et de genre non conforme.
Ces initiatives suscitent un vif débat en Tunisie, où les questions de genre et de sexualité restent politiquement et culturellement délicates. Pour certains, il s’agit d’un levier de soft power progressiste ; pour d’autres, d’un motif d’ingérence étrangère. L’affaire met en lumière la complexité des financements étrangers : loin d’être neutres, ils véhiculent des valeurs et des orientations idéologiques qui nourrissent le débat sur la souveraineté, la transparence et le rôle de la société civile dans la Tunisie contemporaine.



























