Bangkok, 25 octobre 2025 – La Thaïlande est plongée dans le deuil après le décès de la reine mère Sirikit Kitiyakorn, survenu vendredi soir à 21h21 (14h21 GMT) à l’hôpital Chulalongkorn de Bangkok, à l’âge de 93 ans. Hospitalisée depuis 2019, elle a succombé à une infection sanguine aggravée, selon le Bureau de la Maison royale. Surnommée la « plus belle reine du monde » ou la « Jackie Kennedy d’Asie », Sirikit a marqué l’histoire par son élégance, son charisme et son rôle crucial dans le renforcement de la monarchie thaïlandaise aux côtés de son époux, le roi Bhumibol Adulyadej, qui régna 70 ans jusqu’en 2016.
Le roi Vajiralongkorn, son fils et actuel monarque connu sous le nom de Rama X, a décrété un an de deuil pour la famille royale et les officiels de la Cour. Le gouvernement a annoncé 30 jours de deuil officiel, avec des drapeaux en berne dans les institutions publiques et des appels à porter des vêtements noirs ou sobres pendant 90 jours. Le corps de la reine mère sera transféré ce dimanche au Grand Palais de Bangkok, où il reposera en chapelle ardente dans la salle du trône Dusit Maha Prasat pour des funérailles royales conformes à la tradition.
Née en 1932 à Bangkok dans une famille aristocratique du royaume de Siam, Sirikit rencontre Bhumibol à Paris à l’âge de 15 ans, alors qu’il étudiait en Suisse. Leur première rencontre, marquée par un retard du futur roi, fut racontée avec humour par Sirikit dans un documentaire de la BBC en 1980 : « Ce fut un coup de foudre… à l’envers ! Il m’a fait attendre, pratiquer des révérences encore et encore. » Leur relation s’approfondit lors de la convalescence de Bhumibol après un grave accident de voiture en Suisse, qui lui coûta la vision d’un œil. Mariés en 1950, ils eurent quatre enfants : Vajiralongkorn (Rama X) et les princesses Ubolratana, Sirindhorn et Chulabhorn.
Sirikit s’est imposée comme une figure mondiale lors d’une tournée diplomatique entre 1959 et 1967, visitant 40 pays, dont l’Espagne, où elle fut reçue par Franco et décorée de la Grand-Croix de l’ordre d’Isabelle la Catholique. Vêtue de soies thaïlandaises sublimées par le couturier Pierre Balmain, elle rivalisait dans les magazines avec Jackie Kennedy, Grace Kelly ou Farah Diba. « Une petite fleur, vêtue des plus beaux vêtements », disait d’elle Diana Vreeland, rédactrice en chef de Vogue.
Loin d’être une simple figure décorative, Sirikit a joué un rôle politique et institutionnel majeur. Pendant la guerre froide, elle soutint des organisations paramilitaires comme les Vigilantes des Peuples pour contrer la menace communiste, s’inspirant de la légendaire reine Suriyothai, héroïne du XVIe siècle. Son engagement a consolidé la monarchie comme symbole de la nation, dans un contexte de troubles politiques et de coups d’État militaires. En 2008, sa présence au funeral d’un manifestant antigouvernemental, lors d’une crise politique majeure, fut perçue comme un appui tacite à la contestation, renforçant l’aura de la Couronne.
Sirikit présida également des œuvres philanthropiques, comme la Fondation contre le cancer du sein portant son nom, et incarna un rôle maternel, son anniversaire étant célébré comme la fête des mères en Thaïlande. Cependant, son influence s’étendait aux intrigues de palais. Des câbles diplomatiques américains révélés en 2010 la décrivaient comme une figure clé dans les décisions de la Cour, consciente des frasques de son fils Vajiralongkorn, qu’elle qualifia publiquement de « Don Juan » dans les années 1980, critiquant son mode de vie dissolu.
La mort de Sirikit survient dans un contexte difficile pour la dynastie Chakri, alors que la princesse Bajrakitiyabha, fille aînée de Rama X, est dans le coma depuis 2022. Malgré les controverses entourant le règne de Rama X, souvent critiqué pour son style de vie, Sirikit reste une figure vénérée, présente dans les portraits ornant les rues et foyers thaïlandais. Des foules en pleurs se sont rassemblées devant l’hôpital Chulalongkorn, témoignant de l’attachement profond à celle que l’on surnommait la « mère de la nation ».
Le Premier ministre Anutin Charnvirakul, qui a reporté son voyage en Malaisie pour le sommet de l’ASEAN, a appelé à un hommage national. La Thaïlande s’apprête à rendre un dernier hommage à une reine dont le charisme, l’élégance et l’engagement ont façonné l’image de la monarchie pendant des décennies, dans un pays où elle reste une institution sacrée, protégée par des lois strictes de lèse-majesté.


























