Samedi, les rues du centre de Tunis ont été le théâtre d’un rassemblement massif contre ce que les participants décrivent comme la dérive autoritaire du président Kaïs Saïed. Sous la bannière « Contre l’injustice », plus d’un millier de manifestants – familles de détenus politiques, militants de divers horizons idéologiques et simples citoyens – ont exprimé leur colère face à la répression croissante et aux arrestations arbitraires.
Vêtus pour certains de noir, les manifestants ont scandé des slogans percutants : « Le peuple veut renverser le régime », « Quel beau pays ! Oppression et tyrannie ! » ou encore « Ni peur ni terreur, la rue appartient au peuple ». Ces voix, portées par une pluie fine et persistante, ont résonné comme un écho amplifié d’un malaise national profond.
La manifestation s’inscrit dans un mouvement de protestation plus large à travers le pays, depuis plusieurs semaines, touchant des secteurs variés, journalistes en colère contre la censure rampante, médecins et employés des transports publics en grève pour des revendications socio-économiques, et même des mouvements écologistes à Gabès, où la pollution industrielle – exacerbée par le Groupe Chimique Tunisien – est devenue un symbole de négligence étatique. Jeudi, déjà, des professionnels des médias avaient alerté sur la suspension provisoire de plusieurs ONG et les entraves à la liberté de la presse, perçues comme des tentatives de museler toute critique. La manifestation de samedi a culminé devant la piscine du Belvédère, rénovée en hâte sur ordre présidentiel, où les protestataires ont ironisé : « Une piscine en 7 ans ! », soulignant l’absurdité des priorités d’un régime confronté à une crise multidimensionnelle.
L’instrumentalisation du système judiciaire et policier par Saïed pour neutraliser ses adversaires. Ayoub Amara, l’un des coordinateurs du mouvement, a martelé que cette journée visait à visibiliser le calvaire des détenus pour motifs politiques, souvent arrêtés sous le coup de lois antiterroristes ou de cybersécurité détournées de leur vocation originelle. « Tous les progrès des 14 dernières années – ceux arrachés dans le sang de la révolution de 2011 – ont été balayés d’un revers de main », a-t-il lancé, évoquant un pays « assez grand pour tous les Tunisiens, mais gouverné au gré des caprices d’un seul ». Monia Brahim, épouse d’Abdelhamid Jlassi, un opposant emblématique incarcéré, a rejoint le cortège pour rappeler que ces emprisonnements violent le droit constitutionnel à l’engagement civique. Parmi les figures en détention, le professeur de droit Jawher Ben Mbarek (ou Jawhar Ben Mbark, selon les translittérations) mène une grève de la faim depuis plus de 20 jours, un acte désespéré contre ce qu’il qualifie de « prison à ciel ouvert ».
Les organisations internationales sonnent l’alarme. Human Rights Watch documente une répression systématique : depuis fin 2022, au moins 50 personnalités – politiques, journalistes, avocats, militants – ont subi des arrestations arbitraires ou des poursuites pour simple exercice de leurs droits fondamentaux. Des procès en masse, comme celui lancé en mars 2025 impliquant 40 accusés (dont 37 condamnés à des peines de 4 à 74 ans pour « complot contre la sûreté de l’État »), illustrent cette dérive. Amnesty International et d’autres ONG dénoncent l’usage abusif de textes législatifs pour criminaliser la dissidence, tandis que la dissolution du Haut Conseil de la Magistrature en 2022 et les limogeages massifs de juges ont érodé l’indépendance judiciaire.
Pour sa part, Kaïs Saïed justifie ses actions depuis la suspension du Parlement en juillet 2021 par la nécessité de lutter contre la corruption, d’éliminer les « traîtres » et de restaurer les institutions de l’État. Une justification qui ne convainc pas une population de plus en plus mobilisée et déterminée à défendre ses droits fondamentaux. Pour l’heure, la voix du peuple, longtemps étouffée, a retenti – et elle ne s’éteindra pas de sitôt.



























