Le gouvernement indien a officiellement annoncé la rupture de sa participation au traité de partage des eaux de l’Indus avec le Pakistan, invoquant le soutien continu d’Islamabad à ce qu’il qualifie de terrorisme transfrontalier. Ce revirement marque un tournant majeur dans les relations déjà explosives entre les deux puissances nucléaires d’Asie du Sud.
Signé en 1960 sous l’égide de la Banque mondiale, le traité de l’Indus est l’un des rares accords bilatéraux à avoir survécu à plusieurs guerres entre les deux pays. Il garantit un partage équitable des eaux de six rivières majeures du bassin de l’Indus : les trois de l’ouest (l’Indus, le Jhelum et la Chenab) revenant au Pakistan, et les trois de l’est (le Ravi, le Beas et le Sutlej) à l’Inde. Ce traité permet à New Delhi de construire des barrages et d’utiliser les eaux à des fins agricoles et hydroélectriques, à condition de ne pas en interrompre le flux vers le Pakistan.
Pourtant, face à l’attentat sanglant de Pahalgam, qui a fait 26 morts le 22 avril dans le Cachemire indien, la position de l’Inde a radicalement changé. Accusant Islamabad d’avoir orchestré ou soutenu l’attaque via des groupes extrémistes implantés au Pakistan, le ministre indien des Affaires extérieures, Subrahmanyam Jaishankar, a déclaré jeudi que « le traité est suspendu et le restera jusqu’à ce que le Pakistan mette un terme crédible et irrévocable au terrorisme transfrontalier ».
En réponse à l’attentat, l’Inde a lancé dans la nuit du 6 au 7 mai une série de frappes ciblées sur des sites situés au Pakistan, accusés d’abriter les infrastructures du groupe jihadiste suspecté. Le Pakistan a riposté par des tirs de missiles, provoquant un affrontement militaire meurtrier, le plus grave depuis la guerre de Kargil en 1999. Bien qu’un cessez-le-feu ait été signé le 10 mai, la tension reste palpable, les deux pays poursuivant une guerre verbale alimentée par les accusations et les démonstrations de force.
En agitant la menace de couper ou de restreindre l’eau à destination du Pakistan, New Delhi change de paradigme stratégique. L’eau, jusqu’ici considérée comme un bien commun malgré les différends frontaliers, devient désormais un instrument de pression politique. Le Premier ministre Narendra Modi, dans un discours tenu peu avant les frappes, avait déjà laissé entendre que « chaque goutte d’eau qui naît en Inde doit servir d’abord à ses citoyens », mettant en garde le Pakistan contre un usage de la violence qui pourrait remettre en cause l’équilibre hydrique de la région.
Le Penjab pakistanais, région agricole vitale et grande bénéficiaire du traité de l’Indus, pourrait être lourdement affecté si les restrictions devenaient effectives. Une réduction significative du débit d’eau aurait un impact direct sur l’agriculture, l’alimentation et la stabilité socio-économique du Pakistan, qui dépend des rivières pour irriguer ses terres fertiles.
Cette décision de l’Inde soulève une inquiétude croissante au sein de la communauté internationale. Des diplomates de l’ONU et des pays tiers ont exprimé leur crainte de voir ce conflit hydrique dégénérer en une crise régionale à grande échelle. Le traité de l’Indus était considéré comme un exemple de diplomatie durable, même dans des contextes de guerre. Sa suspension ouvre la voie à une instrumentalisation des ressources naturelles dans les conflits internationaux, ce qui pourrait créer un précédent dangereux.
Le Pakistan, de son côté, rejette en bloc les accusations de l’Inde. Il qualifie la suspension du traité d’« acte d’agression environnementale » et appelle la communauté internationale à intervenir pour préserver l’un des derniers filets de sécurité diplomatique entre les deux pays. Islamabad pourrait également faire appel à la Cour internationale de justice ou à la Banque mondiale, garante historique du traité.
Mais pour l’instant, New Delhi campe sur sa position, exigeant des preuves concrètes d’un désengagement pakistanais du soutien aux groupes extrémistes. Cette condition, jugée irréaliste par plusieurs analystes, rend improbable un retour rapide au dialogue sur le dossier hydraulique.
Depuis leur indépendance en 1947, l’Inde et le Pakistan n’ont jamais réussi à bâtir une relation de confiance durable, chacun soupçonnant l’autre de déstabiliser la région. Le Cachemire, région disputée et hautement militarisée, reste le principal foyer de discorde. La suspension du traité de l’Indus, dans ce contexte, pourrait bien être le prélude à une nouvelle forme de confrontation durable, où la guerre ne se limite plus aux armes, mais se prolonge désormais dans les canaux d’irrigation et les débits des rivières.