Le port de Hamdania, projet emblématique du partenariat sino-algérien et pierre angulaire annoncée de l’indépendance logistique et commerciale de l’Algérie, vient d’être officiellement sacrifié. Après des années de négociations, d’études et de promesses gouvernementales, le mégaprojet est abandonné. Motif avancé : sa faisabilité économique serait désormais incertaine. Mais à y regarder de plus près, c’est un virage diplomatique majeur qui s’opère : en rejetant le partenariat chinois, Alger envoie un signal fort à Paris, dans une tentative visible de se rapprocher d’un partenaire historique avec lequel les relations ont été empoisonnées ces dernières années.
Lancé en 2016, le projet du port de Hamdania à Cherchell devait faire de l’Algérie un acteur central des routes maritimes méditerranéennes et africaines. Financé en grande partie par la Chine via Exim Bank, construit par China Harbour Engineering Company et CSCEC, le port était conçu pour rivaliser avec Tanger Med, Port Saïd ou encore le Pirée. Doté d’une capacité annuelle estimée à plus de 6 millions de conteneurs EVP, avec 23 quais et un hinterland logistique stratégique, le projet promettait de désengorger le port d’Alger, d’attirer les flux commerciaux mondiaux, et de positionner le pays sur les nouvelles routes de la soie.
Mais cette ambition structurante vient de s’écrouler, non pas faute de financement ou de vision technique, mais en raison d’un changement de priorités géopolitiques. Le port de Hamdania n’a pas échoué : il a été volontairement étouffé.
L’annonce de l’abandon survient à peine quelques jours après la visite à Alger de Rodolphe Saadé, PDG du géant maritime français CMA CGM. L’entreprise, appuyée par l’Élysée, propose désormais un « partenariat stratégique » pour moderniser les infrastructures portuaires existantes du pays, notamment à Alger, Oran, Annaba et Bejaïa. Le timing est éloquent : à peine la visite terminée, le projet chinois est officiellement enterré. Dans les coulisses, certains y voient une transaction tacite : le régime algérien gèle Hamdania pour faire de la place à CMA CGM et, indirectement, obtenir un réchauffement diplomatique avec Paris.
Ce renoncement stratégique est d’autant plus étonnant que la Chine, via ses entreprises d’État, avait déjà réalisé les études, commencé des travaux préparatoires et mobilisé des financements colossaux. Il ne manquait que le feu vert politique final, lequel n’est jamais venu.
Le revirement algérien peut paraître, à première vue, pragmatique : les autorités préfèrent des investissements directs de CMA CGM dans les ports existants plutôt que de s’endetter lourdement dans un projet à long terme. Mais ce choix soulève plusieurs contradictions. D’abord, il marque un recul de l’indépendance stratégique algérienne. Là où la Chine proposait une vision intégrée et un transfert d’infrastructure, la France offre une solution fragmentaire, certes moins coûteuse, mais aussi moins ambitieuse.
Ensuite, la Chine avait inscrit le port de Hamdania dans sa stratégie globale des « nouvelles routes de la soie ». L’Algérie aurait pu en tirer profit en devenant une plaque tournante incontournable entre l’Asie, l’Europe et l’Afrique. En tournant le dos à ce projet, Alger envoie un message troublant à ses partenaires asiatiques : la coopération peut être stoppée net en cas de pression ou de calcul politique à court terme.
L’abandon du mégaprojet illustre une certaine fébrilité diplomatique du régime. Incapable de capitaliser sur une vision à long terme, le pouvoir algérien semble aujourd’hui naviguer à vue, au gré des opportunités géopolitiques immédiates. En misant sur un rapprochement avec Paris — qui exige discrètement des gestes concrets en échange de sa bienveillance diplomatique — Alger fait le pari du court terme, quitte à sacrifier un pilier de sa stratégie économique à long terme.
Le port de Hamdania restera comme le symbole d’une ambition nationale avortée. Il aurait pu être le moteur d’un redéploiement économique profond, d’un désenclavement logistique et d’une affirmation géostratégique. En l’abandonnant pour amadouer Paris, l’Algérie semble non seulement céder à la pression diplomatique, mais aussi renoncer à bâtir une voie autonome dans le concert des nations émergentes. Le choix est fait : une promesse chinoise structurante est sacrifiée sur l’autel d’un rapprochement politique avec une ancienne puissance coloniale — un choix lourd de conséquences pour l’avenir.