La Guinée est en ébullition après l’annonce de la grâce présidentielle accordée à l’ex-dictateur Moussa Dadis Camara. Condamné en 2024 à 20 ans de prison pour crimes contre l’humanité dans l’affaire du massacre du 28 septembre 2009, il a été libéré dans la nuit du vendredi 29 au samedi 30 mars 2025, sur décision du chef de la junte, le général Mamadi Doumbouya.
Selon un décret officiel lu à la télévision nationale, cette grâce a été justifiée par des « raisons de santé ». Toutefois, cette décision a suscité un vif débat dans le pays. Tandis que ses proches et partisans célèbrent sa libération, les organisations de défense des droits de l’homme et une grande partie de la société civile dénoncent une atteinte à la justice et une trahison envers les victimes du massacre.
À sa sortie de prison, Moussa Dadis Camara a brièvement fait escale à son domicile avant d’être transféré dans une villa sécurisée à Conakry, sous la surveillance de la gendarmerie. Dans le quartier de Kaporo, la présence inhabituelle des forces de l’ordre a alerté les riverains, tandis qu’à Lambagny, son domicile habituel, des scènes de liesse ont éclaté parmi ses partisans.
Son frère, Jostin Kaba, a salué une « preuve de maturité démocratique » en Guinée, estimant qu’il était « temps de pardonner et d’aller de l’avant ». Mais pour les familles des victimes du massacre du 28 septembre 2009, cette libération est perçue comme un acte d’injustice et un coup porté à la mémoire des disparus.
Le massacre du 28 septembre 2009, sous la présidence de Dadis Camara, reste l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire récente de la Guinée. Selon un rapport de l’ONU, au moins 156 personnes avaient été tuées et 109 femmes violées dans un stade de Conakry lors d’une répression sanglante contre des manifestants de l’opposition.
Les ONG locales et internationales n’ont pas tardé à exprimer leur indignation. « C’est un affront à la justice et un mépris total pour les victimes », a déclaré Alseny Sall, porte-parole de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (OGDH). Pour lui, cette décision « remet en cause l’indépendance du système judiciaire guinéen et le droit des victimes à obtenir réparation ».
Une des survivantes du massacre, sous couvert d’anonymat, a confié son angoisse : « Beaucoup d’entre nous ont témoigné à visage découvert lors du procès. Avec sa libération, nous nous sentons en danger. »
Certains analystes estiment que cette grâce pourrait être une tentative du général Doumbouya pour calmer une partie de l’armée, où Dadis Camara conserve des soutiens. D’autres y voient un calcul politique visant à ménager les anciens cadres du régime pour garantir une certaine stabilité au sein du pouvoir.
Ironie du sort, cette libération intervient quelques jours seulement après que le gouvernement a annoncé la prise en charge de l’indemnisation des victimes du massacre. Un responsable du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) a dénoncé « une manipulation cynique du pouvoir », accusant Doumbouya de « jouer avec l’intelligence des Guinéens ».
Alors que le procès en appel du massacre du 28 septembre est encore en cours, cette grâce présidentielle jette une ombre sur l’issue de la procédure judiciaire. Plusieurs anciens hauts responsables impliqués dans le massacre sont toujours sous le coup d’accusations et pourraient être jugés dans les prochains mois.
Cette libération de Dadis Camara pourrait donc renforcer le scepticisme de nombreux Guinéens quant à la volonté réelle du régime d’instaurer une véritable justice et de mettre fin à l’impunité.
Reste à savoir si cette décision sera contestée sur le plan juridique ou politique, et quelles en seront les conséquences pour la stabilité du pays.